En réalité, les interventions au Proche-Orient, après le 11 septembre, étaient des anomalies et ont contribué à créer, à l'intérieur du pays et dans la région, une idée fausse de la "nouvelle norme" de l'ingérence américaine. Le refus d'engager des forces terrestres en Irak et en Syrie n'est pas un recul, mais un correctif, une tentative pour rétablir la stabilité entretenue pendant plusieurs dizaines d'années grâce à la retenue des Etats-Unis, et non des suites de leur agressivité.
Dans la période qui s'étend entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le11 septembre 2001, les Etats-Unis étaient les garants du statu quo dans la région et ne devaient avoir recours aux interventions militaires que dans des cas exceptionnels.
Ils n'avaient pas besoin d'une politique à long terme puisque leurs objectifs coïncidaient avec les intérêts des alliés et partenaires stratégiques de la région, tandis que les relations diplomatiques et économiques, accompagnées d'une certaine présence militaire, suffisaient pour les atteindre. Les Etats-Unis et les monarchies du Golfe étaient intéressés aussi bien par la stabilité des livraisons et des prix du pétrole que par la stabilité politique en général. Après la révolution de 1979, la dissuasion de l'Iran est devenue le souci commun de l'Amérique, d'Israël et des monarchies du Golfe.
Cependant, ces dix dernières années, plusieurs facteurs, essentiellement sans lien avec l'ordre du jour politique de Washington, sont intervenus et ont affaibli la base de ces alliances et partenariats.
Ainsi, la révolution de schiste a fortement diminué la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole arabe et la valeur stratégique des rapports avec les pays du Golfe.
En outre, le Proche-Orient est devenu un endroit fort douteux pour les Etats-Unis, au plan des investissements. Enfin, les groupes les plus pro-occidentaux, notamment les militaires, l'élite du secteur pétrolier et les technocrates laïques, sont en perte d'influence. Là où leur influence n'est pas encore ébranlée, leurs intérêts ne coïncident plus avec ceux des Etats-Unis.
La période de la domination américaine au Proche-Orient touche à sa fin. La guerre en Irak a sapé la confiance envers Washington et a renforcé les positions de ses adversaires, bien qu'au moment de l'invasion de l'Irak la région fût déjà moins influençable. En perte d'influence, les Etats-Unis ne doivent pas s'en aller au sens propre du terme, ils doivent reculer graduellement dans l'intérêt des priorités stratégiques dans d'autres régions. Tout comme leurs partenaires régionaux, ils ne souhaitent pas que l'Iran se dote de l'arme nucléaire et augmente notablement son influence dans la région. Aucun acteur local ne veut voir la puissance de l'EI ou d'autres groupes djihadistes monter en flèche. Dans un contexte où les leviers d'influence américains deviennent moins nombreux, il est nécessaire de se concentrer sur le renforcement de la stabilité régionale.
Il est grand temps que Washington reconnaisse que la baisse de son rôle militaire se traduira par une plus grande indépendance de ses alliés dans leurs décisions militaires. Ces derniers, pour leur part, doivent réfléchir au niveau du soutien qui leur pourrait être accordé par les Etats-Unis avant de se lancer dans des aventures militaires risquées.
Au lieu de reculer, Washington doit chercher un équilibre sain dans ses rapports avec le Proche-Orient. La politique américaine d'ingérence militaire de ces 14 dernières années a été un détour dans le cours d'une longue histoire de retenue, et elle ne doit pas devenir une nouvelle norme durable.