Jean-Paul Pougala: Lorsque j'ai décidé de m'impliquer dans la vie publique africaine, j'ai créé une nouvelle matière d'enseignement qui s'appelle « géostratégie africaine ». Je restais convaincu que l'Africain devait construire sa souveraineté en partant de zéro et contrôler chaque centimètre de son territoire. L'agriculture n'est pas à mes yeux, une simple source de revenu et de nutrition pour la population africaine, mais la première des activités stratégiques pour reprendre en main notre territoire, tout notre territoire. Là où les jeunes que je forme ont aujourd'hui leur champ est appelé à devenir une ville. Mon modèle est partir du secteur primaire qu'est l'agriculture, pour alimenter un secteur secondaire. Et le tertiaire ne viendrait qu'en troisième position comme son nom l'indique pour distribuer, gérer et administrer ce qu'on aura produit des champs et transformé à l'usine. Tous les autres peuples sont passés par là pour se développer et l'Afrique ne saurait être une exception. Un pays qui importe l'essentiel de sa consommation alimentaire est un pays qui s'appauvrit toujours plus. Je suis un économiste africain à qui les économistes européens ont déclaré la guerre. Ils ont réussi à créer des emplois chez eux en utilisant les populations africaines comme consommateurs. A moins de déclarer qu'ils sont plus intelligents que moi et donc que je me rende, je suis obligé de riposter, tout d'abord en menant une résistance, afin d'enseigner à ces jeunes à créer de la richesse sur notre continent et donc des emplois. Chaque africain qui va mourir en tentant de traverser la Méditerranée est un fait divers pour les politiciens européens qui l'utilisent pour secouer leurs opinions publiques, mais pour un économiste africain, c'est une véritable honte, c'est une insulte à notre intelligence. Tout au moins, c'est comme cela que je le vis dans ma peau. Et plutôt que d'accuser les autres, je me demande constamment ce que je peux faire pour changer la donne. Et pour l'instant, l'agriculture me semble le chemin obligé pour repérer les ressources de nos terres et de nos forêts qui nous serviront pour développer des secteurs entiers d'industries.
Et puis, les enjeux du monde montrent clairement que la Chine qui aujourd'hui contrôle l'essentiel de la production industrielle mondiale, pour avoir acheté aussi l'essentiel des entreprises qui lui permettent de sécuriser les approvisionnement en matière première, comme Rio Tinto, la Chine aura toujours de moins en moins besoin des matières premières minières africaines. Beaucoup de pays africains ne l'ont pas encore compris et espèrent toujours qu'ils deviendront prospères (ou émergents comme c'est la mode) en vendant les produits de leur sous-sol. Mon action sur le terrain, prépare donc déjà l'après secteur minier en Afrique. Et l'agriculture pour nourrir d'abord les Africains, ensuite les Asiatiques, me semble absolument incontournable.
A suivre la seconde partie de l'entretien
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