Les pays africains doivent quitter la CPI

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Entretien avec Toussaint Alain, un ex-conseiller et ancien porte-parole du président ivoirien Laurent Gbagbo

Toussaint Alain est un ex-conseiller et ancien porte-parole du président ivoirien Laurent Gbagbo, dont il fut le représentant dans l'Union européenne entre 2001 et 2011. Depuis mai 2011, cet ami de la Russie préside les destinées de Côte d'Ivoire Coalition Inc., une organisation de lobbying politique représentée dans plusieurs pays.

Sputnik: L'actualité ivoirienne a été récemment marquée par la tentative de meurtre à Paris d'un opposant au régime d'Alassane Ouattara. Cela vous fait-il peur?

Toussaint Alain: Cette violence exportée hors des frontières de mon pays est préoccupante. Elle est la marque de fabrique, l'ADN, du régime d'Alassane Ouattara. Il veut user de tous les moyens pour réduire l'opposition au silence. Des désœuvrés de banlieue parisienne ou des dealers recyclés sont ainsi conditionnés, mis à contribution, pour s'attaquer aux opposants, à tous ceux qui émettent la moindre critique contre ce dictateur. Le recours à la force n'a jamais rien résolu. Si Ouattara est allergique à la critique, alors qu'il renonce à la vie publique. En Côte d'Ivoire, l'irrévérence envers les pouvoirs et leurs représentants n'est pas nouveau. Rien ne doit être prétexte à la répression, à l'assassinat d'adversaires politiques et à l'instrumentation des antagonismes pour régler des comptes. Ce micro-terrorisme ne m'effraie pas outre mesure. En politique, la haine et la bêtise n'ont jamais fait bon ménage.

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Sputnik: Justement, ne craignez-vous pas une escalade de la violence à l'approche de l'élection présidentielle prévue pour octobre?

Toussaint Alain: Bien avant cette échéance, la terreur règne déjà dans le pays. Rien n'a vraiment changé depuis 2011. Nous ne sommes certes pas à l'abri d'une nouvelle catastrophe mais personnellement, je souhaite que cette échéance se déroule à la date prévue, et de la meilleure des façons possibles afin de tourner définitivement la page Ouattara. Je reconnais toutefois que les divisions au sein de l'opposition amenuisent sérieusement cette perspective. D'autre part, mes amis ont tergiversé trop longtemps, palabré les uns contre les autres, avant de se lancer dans la bataille. Or, une présidentielle exige du temps de préparation, une logistique énorme ainsi que des femmes et des hommes capables d'être le moteur ou les inspirateurs du changement espéré par les populations. Ouattara a été incapable de réconcilier le peuple, de réduire les inégalités sociales, de lutter contre l'insécurité, de créer des emplois pour tous, d'instaurer un climat de paix et de confiance réciproque entre Ivoiriens. Bien sûr, économiquement et sur le plan des infrastructures, on a pu noter quelques avancées mais cela reste encore très insuffisant pour endiguer de manière significative la misère, relancer la machine de façon durable. La croissance économique est donc appauvrissante pour les foyers modestes. Sans oublier la mainmise du clan Ouattara sur tous les secteurs stratégiques de l'économie ivoirienne. La Côte d'Ivoire a réellement besoin d'un nouveau souffle, de nouveaux dirigeants désintéressés, au service de leurs concitoyens.

Sputnik: Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont toujours détenus à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Combien de temps cela va-t-il encore durer, selon vous?

Toussaint Alain: Je l'ai dit à plusieurs reprises sur vos antennes. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont injustement détenus. Pourtant, la vérité est là, belle, sous les yeux de la procureure de la CPI. Le procès devrait s'ouvrir le 10 novembre. Je crains que l'on soit parti pour plusieurs années de procédure. Lorsque la CPI change les chefs d'accusation selon ses humeurs, cela est bien la preuve que cette juridiction manque de sérénité. Jusqu'à présent, personne n'a apporté le moindre début de preuve aux allégations incriminant Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Mais j'ai confiance en leurs capacités à se défendre pour faire échouer ceux qui ont ourdi ce procès politique. Je l'ai dit à Blé Goudé lors de ma visite le 26 juin dernier au Centre pénitentiaire de la CPI, à la Haye aux Pays-Bas. La situation est difficile, mais il faut tenir.

Sputnik: Au dernier sommet de l'UA en République d'Afrique du Sud, la CPI a tenté de faire arrêter le président soudanais Omar el-Béchir sur le territoire sud-africain. Cette requête a été refusée par le leadership du pays hôte du sommet. Votre commentaire?

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Toussaint Alain: C'est hallucinant! Les gouvernements africains doivent ignorer désormais les décisions de la CPI. Tout le monde sait que ce tribunal ne s'attaque qu'à des prétendus criminels africains. Il ne vous aura pas échappé que l'ensemble des mandats d'arrêt aujourd'hui en vigueur concerne des Africains. Il ne faut pas s'étonner que cela mène à de sérieux soupçons sur le continent africain. L'ancien président américain George W. Bush ne devrait-il pas être inculpé de crimes de guerre pour avoir illégalement envahi un pays souverain, l'Irak? Certains répondent opportunément que la CPI ne peut arrêter que les citoyens de pays membres de la CPI, et les Etats-Unis n'en font pas partie. Mais le Soudan non plus! Etrangement, les mêmes accusateurs invoquent une exception pour les présumés criminels qui ont été spécifiquement désignés comme tel par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui serait le cas d'Omar el-Béchir. Vous voyez bien que tout cela ne tient pas debout. La CPI est une Cour politique, financée par les grandes puissances occidentales auxquelles elle obéit et rend des comptes.

Sputnik: Que pensez-vous de la volonté déclarée de plusieurs pays africains de sortir du système reconnaissant la juridiction de la CPI? Quelles conséquences aurait cette sortie, aussi bien pour les pays concernés que pour le système pénal international en général?

Toussaint Alain: La CPI est clairement une Cour coloniale. Sa crédibilité est entachée. Certes, certains dirigeants africains ont parfois tendance à se placer au-dessus des lois mais il est préférable que les affaires les impliquant relèvent des juridictions nationales. La justice peut être rendue dans les pays africains. Voyez la manière dont la CPI a commis des erreurs, en s'attaquant au Président du Kenya, Uhuru Kenyatta. Je pense que la CPI est une entreprise qui ne mérite plus d'être menée. L'intention visant à construire un monde gouverné par la loi, et non par la force, a échoué. Les 34 pays africains (sur 54) signataires du Statut de Rome doivent en tirer toutes les conséquences en quittant cette instance.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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