Sputnik: La Côte d'Ivoire a connu il y a peu des élections présidentielles. Alassane Ouattara, soutenu par les Occidentaux, garde le pouvoir. Une forte abstention était l'une des principales caractéristiques de ces élections. Votre avis?
Simplice Zokohi Zadi: Merci de l'opportunité que vous me donnez de m'exprimer sur l'actualité brûlante de la Côte d'ivoire, mon pays, sur ce qu'il est convenu d'appeler l'élection présidentielle du 25 octobre 2015. Au vu de la réalité du terrain et des différents protagonistes, nous ne sommes pas surpris des résultats. Celui qui devrait être proclamé vainqueur, à savoir Alassane Ouattara, le protégé de la communauté occidentale, s'est taillé la part du lion avec 83,66% des suffrages exprimés contre 16,44% pour les autres candidats qu'il a lui-même choisis pour l'accompagner. Pour nous autres qui n'étions pas partie prenante à cette « élection », nous ne sommes guère surpris des résultats. Pour notre part, nous en tirons une grande satisfaction parce que l'enjeu était le taux de participation et, de ce côté-là, record absolu jamais enregistré pour une élection de cette envergure, ni dans ce pays, ni dans d'autres pays d'Afrique: 80% de taux d'abstention. Oui, sur ce plan, ma satisfaction est grande. Je fais partie de ceux qui ont appelé au boycott massif du scrutin. Cet objectif est donc largement atteint.
Simplice Zokohi Zadi: Sur le plan local, cette élection n'était pas du goût des Ivoiriens. La preuve, le fort taux d'abstention. Si nous analysons cela, il y a beaucoup de leçons à tirer. Mais pour répondre à votre question, il faut noter que sur le plan interne, les Ivoiriens avaient d'autres priorités que cette soi-disant élection car ils ont besoin de paix et de réconciliation. Sur le plan sous-régional, certains pays de la CEDEAO voulaient que Ouattara, qu'ils ont contribué à installer dans la violence en 2011, se maintienne au pouvoir pour faire de la Côte d'ivoire un territoire conquis. Donc, pour eux, en envoyant des observateurs, ils approuvaient cette élection que les Ivoiriens dans leur ensemble ont rejetée.
Sputnik: Beaucoup admettent, y compris en Occident, qu'il n'y a pas en Côte d'Ivoire de réconciliation nationale, après la crise de 2010-avril 2011. D'autres rappellent qu'Alassane Ouattara a été tout simplement installé à la tête du pays par les armes d'une puissance étrangère occidentale, en violant la souveraineté nationale d'un pays souverain. Comment voyez-vous l'avenir de votre pays?
En effet ce pays, jadis vitrine de la sous-région ouest africaine, est meurtri par une crise politique, militaire et sociale depuis 1993, année de la mort du premier président Félix Houphouet-Boigny qui avait réussi, par le parti unique, à imposer un semblant de stabilité et de paix relatives. Malheureusement, l'Occident, surtout la France dont il était l'agent, n'avait pas intérêt à ce que notre pays s'émancipe après son décès. Elle avait vu en son successeur, en l'occurrence Konan Bédié, un digne continuateur de la politique de défense et de monopole des intérêts français dans la région. Mais ce dernier ne se montra pas apte pour la mission à lui confiée comme agent de l'impérialisme français. Ainsi, ils ont choisi Ouattara Alassane, agent lui aussi des intérêts américains. La France et Ouattara organisèrent un coup d'Etat militaire en décembre 1999, pour évincer l'inapte et incompétent Bédié. Malheureusement, le général Guéi choisi pour faire écran et cacher le jeu des Français, se montra patriote et sous la surveillance, la vigilance du peuple et des partis démocratiques comme le FPI de Laurent Gbagbo, amena le pays à une élection démocratique après une transition de 10 mois. Et c'est Laurent Gbagbo, qui incarnait au mieux les aspirations du peuple, qui sortira vainqueur de la présidentielle en octobre 2000.
Dès son élection, et jusqu'en 2011, son pouvoir ne connut véritablement de répit, attaqué constamment et en permanence par une rébellion conçue par Ouattara, parrainée par la France et des intérêts néocolonialistes.
Commença une période d'acier pour le pays, où beaucoup d'Ivoiriens moins chanceux ont trouvé la mort, d'autres ont été contraints à l'exil, quand plus de 500, dont des personnalités politiques du FPI, notamment Simone Gbagbo, l'épouse du président renversé, croupissent dans les prisons. En outre, et c'est également important pour les Ivoiriens, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé (ex-ministre de la Jeunesse, ndlr) sont détenus injustement à La Haye, où ils attendent un procès le 10 novembre prochain.
Sputnik: A l'heure actuelle, le monde observe avec grande attention la Syrie, où deux coalitions, voire deux visions s'affrontent, surtout depuis le début des frappes russes contre les terroristes dans ce pays. Votre commentaire?
En Afrique, on salue avec beaucoup de satisfaction la politique actuelle, ouverte, de la Russie en Syrie. Parce qu'en 2011, la Russie n'a pas bien joué son rôle de contrepoids à la politique impérialiste des Occidentaux, ce qui a fait que Kadhafi a été tué par l'OTAN en Libye. C'est parce que la Russie a été attentiste, que la France s'est arrogée le droit d'intervenir abusivement en Côte d'Ivoire.
En effet quand il y avait le pacte de Varsovie et que l'équilibre de la terreur était assuré, les Occidentaux faisaient attention. Mais depuis la fin de l'URSS, l'OTAN s'était érigée en gendarme du monde. On peut trouver des circonstances atténuantes à la Russie, car depuis 1991 le pays se devait de se reconstruire. Elle était en phase de reconstruction et de stabilisation. Aujourd'hui elle joue pleinement son rôle de grande puissance mondiale à même d'équilibrer la terreur des forces occidentales dans le monde.
Pour la Syrie, au départ, les Occidentaux voulaient être toujours maîtres en sortant leur jeu favori: le mensonge distillé par les élites occidentales. Mais la diplomatie russe a pris le dessus en montant au créneau pour faire échec à une intervention de l'OTAN contre le président Assad agressé.
Sputnik: Vous avez mentionné la Libye. On sait que l'Afrique et beaucoup de gens dans le monde gardent en tête l'intervention de l'OTAN dans ce pays, avec les conséquences que l'on connait. Le continent africain peut-il tolérer encore cette optique pour l'avenir?
Simplice Zokohi Zadi: Comme je l'ai dit précédemment, l'intervention de l'OTAN en Libye ayant occasionné la mort de Mouammar Kadhafi a été mal ressentie par tout Africain digne. Comme je l'ai également dit précédemment, nous regrettons que la Russie et la Chine n'aient pas été aussi actives qu'elles le sont aujourd'hui. Mais heureusement, tout change. Il appartient aux Africains de traiter ouvertement avec la Russie, car en relations internationales, on signe ce qu'on appelle des accords. Dès lors qu'il existe des accords bilatéraux entre deux pays, ceux-là jouent automatiquement en cas de besoin. Nous ne pouvons plus rêver en nous basant sur le passé où du temps des guerres de décolonisation et de libération, lorsque l'ex-URSS intervenait automatiquement en Afrique. Non, les données ont changé et la Fédération de Russie traite désormais officiellement avec les gouvernements formellement constitués et légaux. Il appartient donc aux gouvernements africains de sortir de leur esclavage occidental pour regarder aussi du côté de Moscou. Il y aussi de bonnes chose à prendre à Saint Pétersbourg, Rostov, Krasnodar, Sotchi, Vladivostok, Kazan, Yalta, en terme de coopération universitaire, scientifique, militaire, économique et culturelle. Il faut diversifier la coopération si nous ne voulons pas que l'OTAN ou la France nous fasse ce qui s'est passé en Libye et en Côte d'ivoire en 2011.
Simplice Zokohi Zadi: Oui, je suis de ceux qui ont salué la naissance des BRICS. En effet, depuis longtemps, le monde est dominé par les élites occidentales qui ont mis les Etats sous l'éteignoir au nom de leurs intérêts impérialistes. Les Occidentaux font la guerre aux pays moins nantis militairement et économiquement mais plus riches en matières premières énergétiques, agricoles et minières. Pour ces richesses, ces pays sont déstabilisés. La naissance des BRICS peut être une chance en ce sens qu'ils peuvent équilibrer économiquement le monde par la mise en place de nouveaux mécanismes de marchés. Il faut de nouvelles politiques de mise à marchés des produits des pays en développement ainsi qu'une juste répartition et rémunération de ces produits. Les BRICS sont une chance car leur existence permettra à coup sûr de diversifier la coopération commerciale et économique du monde.
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