Notre entretien portera sur les actualités brûlantes de son pays, à l'heure où le Cameroun fait face à la menace de la secte islamiste de « Boko Haram », ainsi que sur les questions d'actualité du continent africain.
Mikhail Gamandiy-Egorov, Sputnik France: Bonjour Thierry. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir en juin de l'année dernière. Depuis, bon nombre de choses se sont passés, aussi bien au niveau du Cameroun, de l'Afrique et plus globalement du monde. La République du Cameroun mène aujourd'hui une lutte sans relâche contre la secte islamiste de « Boko Haram ». Quelles sont les nouvelles actualisées du front?
Sputnik France: A l'heure où les forces armées du Cameroun avancent et mènent des opérations à succès contre les terroristes, nous voyons au même moment une pression sans précédent des pays occidentaux sur le gouvernement camerounais qui insistent sur la « nécessité » d'une intervention occidentale. Une « offre » à laquelle s'oppose le leadership du Cameroun. Ton avis là-dessus et quelles sont selon toi les véritables motivations des élites occidentales?
Pour nous, l'armée française avait planifié son affaire: profiter de la crise en Centrafrique pour diviser le Cameroun en deux. En effet, le déploiement des forces françaises de l'opération SANGARIS, en son temps, par le port de Douala et l'installation d'une base militaire provisoire à Ngaoundéré n'était pas un fait du hasard. La France voulait ainsi mettre en marche son même schéma qu'en Côte d'Ivoire ou en Libye. Ceux que vous appelez Boko Haram, aujourd'hui allaient à cette époque profiter de la présence de la France dans cette ville stratégique du Cameroun pour lancer une manifestation au cours de laquelle les manifestants allaient provoquer les forces de l'ordre qui à leur tour devaient réagir. Ainsi les médias hexagonaux allaient être actionnés par l'élite française pour accuser l'armée camerounaise d'avoir tiré sur les populations aux mains nues. Ce schéma s'apparentait déjà à celui de la Côte d'Ivoire dans lequel la France a armé des rebelles du nord pendant dix ans et qui ont finalement eu raison du pouvoir de Laurent Gbagbo.
Il faut noter aussi que la même France avait demandé à installer une base militaire dans l'est du pays pour, selon les autorités de l'Elysée « combattre les rebelles de la Seleka qui faisaient des incursions du côté du Cameroun ». Pour nous c'était un autre complot car en réalité, il s'agissait d'une stratégie planifiée pour prendre le contrôle du plus grand gisement de diamant au monde qu'on venait de découvrir dans cette région. Elle voulait ainsi s'installer pour transformer avec la complicité des rebelles de la Seleka cette région en « zone de guerre ». La France aurait eu la possibilité de piller les ressources minières, en toute tranquillité, comme ce fut le cas dans le nord de la Côte d'Ivoire, comme dans le nord du Mali. Vous comprenez donc que le désir ardent d'intervenir au Cameroun fait partie d'un complot savamment conçu par l'Occident pour s'installer au Cameroun où il n'existe aucune base militaire étrangère, chose rare en Afrique francophone. Nous sommes avertis, c'est pourquoi nous ne voulons pas de leur présence sur notre territoire. Donc laissez-moi vous dire que c'est désespérément qu'ils veulent par tous les moyens intervenir au Cameroun, sous le prétexte de lutter contre Boko Haram. Le président Biya sait que le même peuple qui a fait bloc derrière lui dans cette lutte peut se retourner contre lui s'il accepte que la France, qui a des comptes à rendre au peuple camerounais pour le génocide bamiléké et bassa, intervienne sur le territoire camerounais. Certains médias français ont lancé une véritable campagne de dénigrement de notre armée faisant écho d'elle comme étant « une armée désorganisée, faible et pas équipée » malgré leurs victoires reconnues sur le front, tout ceci pour pousser certains Camerounais faibles d'esprit à mettre la pression sur leur président afin qu'il accepte une intervention française. Des Camerounais ont été recrutés pour salir l'image du pays mais c'est peine perdue car le complot a déjà été déjoué. Souvenez-vous que dans notre entretien passé, j'avais dit qu'une Afrique nouvelle pointait à l'horizon. Il s'agit d'une Afrique déterminée à se prendre en charge, il s'agit d'une Afrique qui ne désire plus être traitée comme un enfant ou élève à qui on doit donner des leçons. Le Cameroun est devenu une "Nation" depuis que la secte islamiste Boko Haram a attaqué l'intégrité de son territoire.
Sputnik France: On parle de plus en plus ces temps-ci des liens supposés entre la secte « Boko Haram » et les services secrets occidentaux. Plus encore, il n'y a pas si longtemps des combattants européens qui se battaient aux côtés des terroristes, ont été capturés par l'armée camerounaise. Sans oublier les armes de pointe et les moyens de transport de dernière génération que possèdent les extrémistes et dont on a « un peu » de mal à comprendre la provenance.
Sputnik France: Quelles seraient les forces dont l'assistance selon toi aurait un impact positif dans la lutte contre le terrorisme, aussi bien pour le Cameroun que toute la région, voire tout le continent?
Thierry Mbepgue: Le Cameroun résiste jusqu'ici parce qu'il a regardé à temps du bon côté. Être du côté de la Russie, de la Chine aujourd'hui est un parapluie qui vous couvre de la pluie d'hypocrisie et de mauvaise foi de certains pays occidentaux. Le bilan de la jeune coopération militaire avec la Russie et la Chine est très positif comparativement avec la France et certains pays occidentaux depuis les années cinquante. Donc sachez que si la Russie et la Chine assistent la coalition militaire qui a été mise en place par les pays d'Afrique centrale et l'Union africaine, la secte Boko Haram ne sera plus qu'un triste souvenir dans un délai très bref.
Sputnik France: Comment entrevois-tu, surtout au vu des événements récents, l'avenir du Cameroun et plus globalement de l'Afrique centrale? Et en tant que panafricaniste, partages-tu l'avis d'un autre panafricaniste avec lequel on s'est entretenu récemment, en l'occurrence Luc Michel, qui considère que le néocolonialisme US se prépare à remplacer celui des anciennes métropoles coloniales, dont bien évidemment la France? Quel impact cela aurait-il pour les pays africains?
Thierry Mbepgue: Certes, le réveil du Cameroun a mis du temps mais il n'est jamais trop tard pour se ressaisir. Les Camerounais ont très vite compris que s'était à eux de décider de leur destin et non pas à l'élite occidentale. La diversification de partenariat économique a mis le Cameroun à l'abri d'une certaine hégémonie historique dont il faisait face. Luc Michel, que je salue en passant est un homme avisé et averti que je respecte beaucoup pour ses analyses approfondies de la situation politique dans le monde. Ce qu'il dit des USA est juste. Mais aussi nous devons savoir que nous ne sommes plus à l'époque où une puissance fut elle la première du monde, pourrait soumettre aussi facilement des peuples à son diktat. Dans le cas du Cameroun et à l'heure où nous avons lancé sérieusement la diversification de nos relations extérieures, j'ai la foi que les USA ne pourront pas atteindre leurs objectifs néocolonialistes aussi facilement qu'ils le souhaiteraient. Surtout au moment où le Cameroun a le soutien de plusieurs grandes puissances, dont la Chine et la Russie.
Sputnik France: Tu as lancé récemment un projet de rassemblement des mouvements panafricanistes avec pour base la mise sur pied d'un état-major destiné à lutter en coordination pour la libération du continent africain: le projet UNIRTA. Raconte-nous ses objectifs et les résultats escomptés.
Thierry Mbepgue: Le « Projet UNIRTA » est un projet de rassemblement des mouvements panafricains, des partis politiques aux idéaux panafricanistes et des activistes panafricanistes. Plusieurs objectifs sont visés, parmi lesquels la mise sur pied d'une organisation de la résistance africaine dirigée par un bureau élu pour un mandat dont la durée sera définie par les textes fondateurs qui seront rédigés. La mise sur pied d'un mécanisme d'alerte générale, rendre facile et rapide l'échange d'informations entre les différents membres de la plate forme qui sera créée, rassembler les Africains au sein d'une organisation capable d'engager de façon instantanée des mouvements de soutien ou de protestation à travers tout le continent et même le monde. Puis créer une force populaire capable d'influencer les décisions non réglementaires prises par certains dirigeants africains, combattre ensemble et en masse les dictateurs et leurs parrains et alliés en Afrique, soutenir les dirigeants panafricanistes persécutés par les impérialistes, proposer des solutions en cas de crise sur le continent africain, œuvrer pour la paix en Afrique. Nous avons commencé à mobiliser les Africains pour sa mise en œuvre. Un tel projet nécessite un potentiel énorme en ressources humaines, moyens financiers et matériels, le soutien des dirigeants africains, de l'Union africaine, des organisations sous régionales ou même de toute personne désireuse de le voir être réalisé est souhaité. Je profite donc de cet entretien pour lancer un appel à tous ces Africains qui rêvent de voir l'Afrique sortir la tête de l'eau, aux amis de l'Afrique et je suis disposé à répondre à l'invitation de tous ceux qui désireraient avoir plus d'informations sur ce projet.
Sputnik France: Que peuvent faire les dirigeants africains, l'Union africaine, ainsi que les pays des BRICS pour soutenir votre projet?
Thierry Mbepgue: Les dirigeants de l'Afrique digne doivent soutenir ce projet en facilitant les déplacements dans leurs pays respectifs, en mettant à notre disposition les informations susceptibles de nous aider à atteindre nos objectifs et en nous aidant financièrement. Etant conscient qu'un tel projet soulèvera l'indignation des ennemis de l'Afrique, il revient à nos dirigeants d'assurer la sécurité de tous ces Africains qui s'engageront dans la lutte pour la libération de leur continent. L'Union africaine doit savoir dorénavant à travers ce projet quels sont les aspirations réelles de la majorité des peuples africains. Nous attendons d'elle de mettre à notre disposition les moyens financiers, matériels et morals nécessaires pour sa réalisation. L'Union africaine doit nous ouvrir sa tribune et ses médias pour expliquer aux Africains le bien fondé d'un tel projet. La Russie et la Chine sont rentrées en Afrique par la grande porte, il faut qu'elles acceptent d'y rester en œuvrant pour son développement comme elles le font déjà si bien. Ce sont des pays amis.