Trois dirigeants arabes arrivent en même temps à Moscou pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine afin d'évoquer les conflits au Moyen-Orient. Le roi Abdallah II de Jordanie, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et le prince héritier d'Abou Dhabi Mohammed al-Nahyane auront chacun leur propre ordre du jour, mais la présence des trois dirigeants arabes à Moscou est qualifiée par les médias de "sommet arabe" ou encore de "débarquement".
La principale initiative de Poutine sur le dossier syrien a été sa tentative de créer un front commun pour combattre l'organisation terroriste État islamique, interdite en Russie. Le plan du président russe implique la mise en commun des efforts de l'armée irakienne, syrienne et des Kurdes pour lutter contre l'EI avec le soutien matériel et technique de l'Orient arabe. Les terroristes de l'EI gagnent activement du terrain et repoussent les troupes gouvernementales en Syrie et en Irak. En mai, le Pentagone a annoncé que les islamistes avaient réussi à prendre une dizaine de chars Abrams de l'armée irakienne.
Selon les sources des experts arabes auxquels se réfèrent Alexandre Ignatenko, chaque chef d'État viendra en Russie avec son propre ordre du jour: le prince d'Abou Dhabi soulèvera avec Poutine des questions relatives à l'établissement dans le golfe Persique d'un système de sécurité commun, le roi de Jordanie se penchera sur le problème de la Syrie, et le président égyptien sur le règlement du conflit en Libye. Cependant, en dépit de cette différence d'ordre du jour, le règlement du conflit en Syrie intéresse les trois dirigeants. "C'est un pas vers la formation de la coalition proposée par Poutine pour combattre l'EI, et leur visite indique qu'ils sont enclins à participer à une telle coalition", explique Ignatenko. Ce dernier qualifie la coalition éventuelle de "Plan de Poutine pour le Moyen-Orient".
Cependant, l'unanimité n'est pas encore atteinte étant donné que les intérêts des pays arabes dans la région divergent. La plupart des États arabes s'opposent au régime du président syrien Bachar al-Assad soutenu par Moscou.
Dans le même temps, la coalition existante, menée par les USA et qui regroupe déjà les pays arabes, échoue en Syrie: les bombardements n'ont aucun effet et ne font que pousser à commettre de nouveaux attentats.
Les experts soulignent que les Arabes intensifient leur dialogue avec Moscou dans le contexte du règlement du problème nucléaire iranien. L'Iran a toujours été considéré comme un rival des régimes arabes et aujourd'hui, après le levée des sanctions contre Téhéran, il pourrait renforcer davantage son influence régionale.
Moscou souhaite, pour sa part, attirer les investissements de riches monarchies du Golfe, ainsi que vendre ses armes aux pays arabes. On sait que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s'apprête à visiter le salon aérospatial MAKS qui vient d'ouvrir ses portes à Joukovski, dans la région de Moscou. Le président égyptien compte notamment voir plusieurs modèles d'avions russes.
Comme le souligne l'orientaliste des Émirats Teodor Karassik, "Poutine et al-Sissi ont la même vision de l'extrémisme comme une force détruisant l'ordre économique en place".
Al-Sissi, qui combat le radicalisme islamique, est lui-même un autoritariste très intransigeant qui n'hésite pas à se défaire de ses ennemis intérieurs: les Frères musulmans. Des centaines de membres de cette organisation sont aujourd'hui en prison, y compris l'ancien président élu démocratiquement Mohamed Morsi, qui avait été soutenu par les USA pendant la révolution en Égypte.
L'attitude des USA envers al-Sissi est aujourd'hui ambiguë, souligne Teodor Karassik.
En dépit des problèmes des droits de l'homme en Égypte, la Maison blanche, qui a levé l'embargo sur les livraisons d'armes au Caire, a autorisé à lui fournir des armes pour 1,3 milliard de dollars.
Plus tôt, l'Égypte avait signé des contrats d'armement avec la Russie à hauteur de 3,5 milliards de dollars, mais toutes ces fournitures — aussi bien de Russie que des USA — sont payées par les crédits de l'Arabie saoudite intéressée par une éventuelle aide d'allié de l'Égypte. Ce pays dispose aujourd'hui de la plus grande armée bien équipée dans la région.
Des contrats pour la construction en Égypte de centrales nucléaires pourraient également être signés pendant la visite d'al-Sissi en Russie. Si le projet de 6 milliards de dollars pour la construction de deux réacteurs nucléaires était mis en œuvre, ce serait le plus grand contrat civil entre l'Égypte et la Russie depuis le barrage d'Assouan.