Au cours de l'année 2013, cette nébuleuse a commencé sa forte expansion militaire en Syrie et en Irak.
A la prise de contrôle de larges pans du territoire syrien, notamment à l'est du pays, l'EI s'est au cours du mois de mai emparé de zones énergétiques au centre du désert syrien, notamment dans la région de Palmyre et dans le même temps de la ville de Ramadi, en Irak. La prise de ces villes a suscité beaucoup de questions quant à la motivation réelle de la coalition à freiner l'expansion de l'EI puisque des milliers de combattants de cette organisation ont pu traverser les déserts syriens et irakiens avec des colonnes de véhicules blindés à découvert, pour attaquer les forces loyalistes sans que la coalition ne les bombarde.
Ce plan, nous dit le document, aurait le soutien des puissances étrangères hostiles au pouvoir syrien car il permettrait d'isoler le régime syrien vers la cote et ainsi, de couper toute liaison terrestre entre l'Iran et le Hezbollah. En clair: les puissances radicales qui pourraient émerger du chaos créé par les Américains en Irak devraient naturellement se déverser en Syrie pour affaiblir l'état syrien.
Le laisser faire américain, des monarchies du golfe et de la Turquie, face à la montée en puissance de l'EI, est aussi une traduction de leur incapacité à contrecarrer militairement l'armée syrienne et ses soutiens au sol, tout autant que ne l'est le soutien logistique direct de la CIA à armer des factions rebelles, dont un grand nombre ont depuis 2012 rejoint l'EI ou au mieux la branche locale d'Al-Qaïda.
Par contre en appuyant lourdement les forces kurdes dans le nord du pays, la coalition a atteint plusieurs objectifs qui, bon gré mal gré, satisfont ses principaux alliés actuels dans la région:
— L'établissement de l'EI permet l'avènement d'un Kurdistan au nord du pays tout autant que l'apparition d'un Sunnistan très intégriste, regroupant une nébuleuse allant de l'EI à Al-Qaïda, contraignant le régime à se replier vers les côtes et accentuant ainsi la dynamique de désintégration territoriale en Syrie.
— Pour Israël, l'effondrement du régime syrien signifie l'affaissement du Hezbollah (jugé menace prioritaire) qui se concentre désormais sur le front syrien et devrait sortir très affaibli des années de guerre en Syrie. Pour cette raison sans doute, l'Etat hébreu apporte même un soutien médical direct aux djihadistes et parmi eux les plus radicaux (proches du front al Nosra et donc d'Al-Qaïda), soutien qui a donné lieu récemment a des émeutes de protestation de la part de minorités syriennes (Druzes…) directement menacées par l'organisation terroriste.
Que devrait-il se passer?
Cette opposition inattendue intra-OTAN entre Ankara et Washington devrait sans doute s'accentuer avec les récentes décisions d'Erdogan de se rapprocher de l'OCS et de la Russie avec laquelle elle partage des ambitions régionales.
Cette yougoslavisation de la Syrie et de l'Irak aura aussi des conséquences directes sur la Russie et la Chine qui ont chacun des intérêts historiques, politiques et économiques dans ces deux pays. Elle porterait atteinte au projet de route de la soie que Pékin compte redévelopper, car historiquement, les tracés des routes de la soie qui reliaient la Chine à l'ouest de l'Europe passaient par l'Iran et la Syrie et il n'existe "que deux options possibles, soit par Deir ez-Zor et Alep, soit par Palmyre et Damas. Le premier chemin est coupé depuis début 2013, le second vient de l'être après la chute de Palmyre".
Le grand nombre de candidats russophones et sinophones (il y a même un quartier chinois à Raqqa, la capitale de l'Etat islamique en Syrie) qui se sont enrôlés au sein de l'EI, peuvent laisser imaginer que le prochain front de l'EI se situera entre le Caucase et le Xinjiang, visant Pékin et Moscou.
L'EI, après avoir déstabilisé le monde chiite, pourrait donc en quelque sorte devenir un outil de déstabilisation de l'Eurasie.
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