Le différend entre la Grèce et les créanciers a désormais une dimension politique tout autant qu'économique. C'est la question de la démocratie au sein de la zone Euro et de l'Union européenne qui est aujourd'hui directement posée. Une des conséquences de cette nouvelle situation est que les leçons que l'on doit en tirer sont extrêmement importantes pour la suite des événements, tant en Grèce naturellement que dans d'autres pays qui entreraient à leur tour en conflit avec les différentes structures de l'Union européenne.
Le gouvernement grec a fait la démonstration que l'UE, l'Eurogroupe, et généralement l'ensemble des "institutions" européennes n'ont en réalité jamais admis le résultat des élections du 25 janvier 2015. Leurs actions n'ont eu de cesse que d'amener le gouvernement grec à se renier ou bien de provoquer un changement de gouvernement par des méthodes qui se situent en réalité hors de la sphère des principes démocratiques, même si elles en respectent formellement les codes. Le refus obstiné des "institutions" de prendre en compte les propositions du gouvernement grec, dont il est aujourd'hui clair qu'elles étaient raisonnables, et qu'elles étaient les seules capables de permettre à la Grèce de sortir de la crise, n'avait pas d'autre sens qu'un sens politique. Il fallait faire la démonstration qu'aucune politique alternative n'est possible aujourd'hui dans l'UE. C'est ce à quoi s'est employé tant la Commission que l'Eurogroupe, renvoyant systématiquement les mêmes propositions au gouvernement grec et se refusant, en réalité, à toute négociation.
La question n'a jamais été de "sauver" la Grèce mais de lui donner les moyens matériels et financiers de renouer avec la croissance.
Il se répand dans la presse l'expression "sauver la Grèce". Rien ne saurait être plus faux. Tout d'abord, ce n'est pas la Grèce qui est menacée par un défaut, mais en réalité la zone Euro. Si la Grèce faisait défaut le 30 juin, les conséquences les plus graves seraient justement dans les "institutions" européennes. En fait, il convient ici de rappeler des faits qui sont connus, mais systématiquement occultés dans la présentation faite par certains journalistes:
2. Les taux d'intérêts prélevés par les créanciers privés ont été particulièrement élevés, et ces taux ont rajouté de la dette à la dette. Dans les années 2010-2012 s'est ainsi mis en place l'équivalent d'une pyramide financière (ou "système Ponzi") dans lequel un gouvernement emprunte pour rembourser non plus le principal mais les intérêts. Tout économiste sait qu'un tel système conduit à court terme à des catastrophes.
3. Aujourd'hui, si l'on excepte le poids des remboursements tant des intérêts que du principal, le gouvernement grec est à l'équilibre budgétaire (ce que l'on appelle un "équilibre primaire"), chose que le gouvernement français est incapable de réaliser. Ainsi, les mêmes qui dénoncent la "légèreté" du gouvernement grec sont incapable de faire aussi bien que lui…
En fait, le gouvernement grec propose deux solutions aux pays de l'Eurogroupe. Soit un accord sur la restructuration et le rééchelonnement de la dette est trouvé et l'Union européenne s'engage à investir dans l'appareil productif grec, soit la Grèce fera défaut (et donc ne paiera pas), et utilisera l'argent qu'elle prévoit d'économiser par un effort fiscal extraordinaire pour investir dans son appareil productif. C'est pour cela qu'aujourd'hui la question de la dette est centrale (2). Mais, le problème de la Grèce n'est pas celui d'un endettement trop lourd, il est fondamentalement celui d'une perte de la compétitivité de l'économie grecque. Or, cette perte de compétitivité est consécutive à l'Euro. (3) Cela, je l'ai dit dès octobre 2009 puis à de nombreuses reprises (4), et il est clair qu'un raisonnement similaire peut être tenu pour de nombreux pays, la Portugal, l'Espagne, l'Italie et la France. Face à un problème de compétitivité, un pays peut soit dévaluer sa monnaie, soit procéder à des investissements massifs dans son appareil productif. Mais il ne peut pas rester à la parité d'origine, ne pas investir et de plus prélever environ 5% de son PIB tous les ans pour payer d'autres Etats. Il faudra donc choisir et, si l'on ne veut pas donner à la Grèce les moyens d'investir, la laisser sortir de l'Euro.
Mais, et c'est ici que nous revenons à la politique, les dirigeants européens ne veulent faire ni l'un ni l'autre. Ils sont paralysés par la représentation religieuse de l'Euro qu'ils se sont créés. Mais ils sont aussi paralysés par les intérêts financiers de certains pays et en particulier l'Allemagne, qui tient absolument à maintenir le couvercle de l'austérité sur l'Europe. Incapables de choisir, visant à des objectifs contradictoires (le maintien de la Grèce dans la zone Euro et la politique d'austérité), ils sont aujourd'hui dans une impasse. Prenant conscience de cette dernière, au lieu de chercher à dénouer les fils du nœud dans lesquels ils sont pris de leur propre faute, ils cherchent une issue dans une fuite en avant dangereuse. L'attitude qu'ils ont adoptée face au gouvernement grec est en effet dangereuse et irresponsable. Cette attitude prend le risque, pour résoudre un problème qui est une création de l'Europe, de compromettre la totalité de l'édifice européen et de révéler les sources anti-démocratiques de cet édifice. C'est aussi cela que révèle la décision d'Alexis Tsipras de convoquer les électeurs pour un référendum.
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1 Geek Debt Truth Commission, Executive Summary of the report from the Debt Truth Committee, 43p, 17 juin 2015, http://greekdebttruthcommission.org/wp/
2 Godin R., "La question de la dette est centrale", La Tribune, 23 juin 2015, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-pourquoi-la-question-de-la-dette-est-desormais-centrale-486327.html
3 http://bfmbusiness.bfmtv.com/monde/la-crise-que-subit-la-grece-ne-se-serait-pas-produite-sans-l-euro-896158.html
4 Je renvoie ici le lecteur à une série de note publiée sur le site Marianne.2, "Sapir: derrière la crise grecque, l'explosion de l'euro?", 30 mai 2011, http://www.marianne.net/Sapir-derriere-la-crise-grecque-l-explosion-de-l-euro_a206801.html