D'une part parce que nous sommes sans aucune illusion vis-à-vis de nos « alliés ». En 2012 déjà, la France a demandé des comptes à la NSA américaine, soupçonnée d'avoir infiltré les ordinateurs de l'Elysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La DGSE et l'Anssi (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Informations) avaient demandé à la NSA de s'expliquer. Celle-ci avait nié ses responsabilités sans convaincre personne.
Par ailleurs, comme le déclarait ce matin François Heisbourg, Conseiller au Président de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), semblant trouver la situation parfaitement banale, les Américains pratiquent ces écoutes tout simplement parce qu'ils en ont les capacités et qu'ils interceptent donc toutes les communications téléphoniques ou informatiques qui ne font pas l'objet d'une protection de très haut niveau.
Mais c'est là, dans le ton employé par François Heisbourg, que le bât blesse: en résumé, oui les Américains nous espionnent, nous sommes au courant, pas de quoi fouetter un chat… Si M. Heisbourg, en tant que spécialiste des questions stratégiques, a parfaitement raison sur le fond, sa réaction un tantinet fataliste est révélatrice d'un état d'esprit largement répandu en France: l'indignation à géométrie variable. Ces Français, qui acceptent quasiment comme une évidence l'espionnage des Américains, hurleraient à la mort s'ils découvraient que la Russie en fait le dixième.
Libération, dans la foulée de sa Une sur les écoutes de la NSA va-t-il maintenant mener une enquête portant sur les réseaux américains en France? Va-t-il évoquer les relais parisiens des think-tanks américains néoconservateurs, Hudson Institute et autres? Va-t-il demander aux services de contre-espionnage français qui sont les plus actifs en France entre les agents de renseignement russes et Américains? Va-t-il faire le point avec les spécialistes de la cyberguerre sur les attaques ou les tentatives de pénétration visant des entreprises stratégiques et des administrations françaises, lesquelles sont loin de d'être majoritairement russes et chinoises comme on se l'imagine fréquemment? Va-t-il dresser la liste des experts, journalistes, hommes politiques, leaders d'opinion qui, méthodiquement, relaient l'influence américaine et clouent au pilori médiatique tous ceux qui ne sont pas Atlantistes forcenés ni fervents partisans du TTIP? Va-t-il dresser la liste des titres de presse français qui comptent parmi leurs actionnaires des Américains? Quant à Mediapart, dont on ne peut que louer la pugnacité, va-t-il à présent faire le point sur les raisons pour lesquelles nous acceptons sans trop sourciller l'espionnage américain, sur les agents d'influence à l'œuvre dans les formations politiques, l'administration, les entreprises, les différents centres de réflexion?
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