Les combats de ces derniers jours, assurément limités, ont été les plus violents depuis janvier 2015. L'accord dit "Minsk-2" est en train de se dissoudre, et ceci largement du fait du gouvernement de Kiev, contrairement à ce qui a été déclaré au G7. Cela était d'ailleurs prévisible.
Une trêve plus qu'un cessez-le-feu
Il faut comprendre que ces ruptures du cessez-le-feu ne présagent pas à elles seules d'une possible reprise des combats. Elles ne sont significatives que dans la mesure où elles se situent dans un contexte de non-application de l'accord de Minsk-2. Rappelons que l'accord de Minsk-2 prévoyait un important volet politique en plus du volet militaire (cessez-le-feu, échange de prisonniers). Ce volet politique prévoyait une fédéralisation de fait de l'Ukraine et le respect de l'intégrité territoriale du pays, moyennant une très large autonomie conférée aux régions de Lougansk et Donetsk. D'emblée, le gouvernement de Kiev a montré de fortes réticences a mettre en œuvre le volet politique de l'accord. Or, si l'on ne procède pas à la mise en œuvre du volet politique, la question militaire resurgira nécessairement. C'est bien parce que nous sommes dans une impasse politique qu'il y a un risque de reprise généralisée des combats et que le cessez-le-feu risque de n'être qu'une trêve provisoire.
Très clairement, il y a des forces qui poussent à une reprise des hostilités. Du côté des forces de Kiev, les groupes d'extrême-droite poussent à l'évidence à une reprise des combats. Outre l'espoir d'obtenir des victoires sur le terrain, ces groupes ont compris qu'ils ne seront importants dans l'espace politique kiévien que par le maintien d'une atmosphère d'hostilité et de conflit. Que la tension retombe et ces groupes apparaîtront pour ce qu'ils sont, des bandes de dangereux excités et nostalgiques du nazisme. D'autre forces jettent de l'huile sur le feu: ce sont certains des oligarques, qui forment l'épine dorsale du régime de Kiev, et qui cherchent à prospérer sur l'aide militaire (en particulier américaine). Eux aussi ont intérêt à une reprise des combats.
Les pays de l'Union européenne, et les Etats-Unis, n'ont jamais voulu prendre en compte le rôle de la Russie qui a, de manière répétée par le passé, et en particulier début septembre 2014, fait pression sur les insurgés pour qu'ils limitent leurs ambitions sur le terrain. A de nombreuses reprises, les forces insurgées ont eu la possibilité d'avancer bien plus loin que le territoire qu'elles contrôlent actuellement. Cette attitude responsable de la Russie a permis l'accord dit de Minsk-1 puis celui de Minsk-2. Mais, les Etats-Unis et les pays de l'Otan n'ont pas réellement reconnu ce rôle de la Russie, ce qui n'a pas peu contribué à persuader les dirigeants de Moscou de la mauvaise foi de leurs interlocuteurs. Si les relations sont tellement difficiles aujourd'hui entre ces pays et la Russie, c'est aussi le produit de leur attitude envers la Russie au moment où cette dernière faisait tout pour calmer la situation militaire.
Les relations de Moscou avec les autorités de Donetsk et de Lougansk sont complexes. Ceux qui veulent ignorer l'existence d'une autonomie de décision de ces autorités commettent une grave erreur. Bien entendu, les dirigeants de la DNR et de la LNR cherchent à être dans de bons termes avec la Russie, mais leurs objectifs ne coïncident pas nécessairement.
Un changement de position des occidentaux?
Face à cette situation qui dégénère du fait de l'absence de volonté de mettre en œuvre une solution politique, on a noté ces dernières semaines une certaine évolution de la position tant des Etats-Unis que des pays de l'Union européenne.
Les Etats-Unis, par la voix de leur Secrétaire d'Etat, John Kerry, insistent désormais sur la nécessité pour Kiev d'appliquer l'accord de Minsk-2 (2). Très clairement, les Etats-Unis n'entendent pas porter le fardeau de l'Ukraine, dont l'économie se désintègre et qui pourrait dans les jours ou les semaines qui viennent faire défaut sur sa dette, comme semble l'annoncer l'échec des négociations avec les créanciers privés (3). L'Ukraine, qui connaît depuis ces derniers mois une inflation galopante et dont la production pourrait baisser de —10% en 2015, après une baisse de —6% en 2014, a désespérément besoin d'une aide massive. Or, les Etats-Unis n'ont aucune intention de la lui fournir. Ils se tournent vers l'Union européenne, mais cette dernière est, elle aussi, plus que réticente. Bien sûr, le secrétaire d'Etat à la défense, Ash Carter, insiste pour que de nouvelles sanctions soient prises contre la Russie (4). Mais, ceci est plus à mettre sur le compte de l'inefficacité maintenant constatée des sanctions précédentes.
L'Allemagne, elle aussi, commence à évoluer sur cette question. Après avoir adopté une position hystériquement anti-russe depuis des mois, elle semble avoir été prise à contre-pied par le changement de position des Etats-Unis. Très clairement, elle perçoit que si ces derniers réussissaient à faire porter le fardeau ukrainien à l'Union européenne, c'est l'Allemagne qui aurait le plus à perdre dans cette logique. Il est extrêmement intéressant de lire dans le compte rendu de la réunion de Riga que l'accord de Libre-Echange ou Deep and Comprehensive Free Trade Agreement (DCFTA) est désormais soumis dans son application à un accord trilatéral. Deux des parties étant évidents (l'UE et l'Ukraine) on ne peut que penser que la troisième partie est la Russie, ce qui revient à reconnaître les intérêts de ce dernier pays dans l'accord devant lier l'Ukraine à l'UE. En fait, on est revenu à la situation que les russes demandaient en 2012 et 2013, mais ceci après un an de guerre civile en Ukraine.
La Russie en position d'arbitre
Les derniers évènements montrent que la Russie est en réalité dans une position d'arbitre sur le dossier ukrainien. La position officielle du gouvernement russe est d'exiger l'application complète des accords de Minsk-2. Mais, d'un autre côté, il sait que le temps joue pour lui et il pourrait être tenté de laisser pourrir la situation.
Incapable de se réformer, en proie à une crise économique dramatique, Kiev est d'ores et déjà en proie à des problèmes de plus en plus graves. La guerre des oligarques qui se poursuit dans l'ombre montre clairement qu'au sein de l'alliance au pouvoir à Kiev existent des divergences importantes. Les événements de ces 18 derniers mois n'ont nullement fait disparaître l'hétérogénéité politique et de population en Ukraine. La réalité du pays, une nation diverse et fragile, traversée de conflits importants, peut être masquée pour un temps par la répression et la terreur, comme ce fut le cas ces derniers mois. Mais, ces pratiques ne résolvent rien et les problèmes demeurent?
Mais, surtout, même le gouvernement ukrainien comprend le rôle économique déterminant que jouaient les relations avec la Russie jusqu'en 2013. Sans un accord avec la Russie, l'Ukraine ne peut espérer se relever et se reconstruire. Cela, le gouvernement russe le sait aussi.
1). Sur la question des forces russes au Donbass et la « menace » sur l'Ukraine, on se reportera à l'Audition du général Christophe Gomart, directeur du renseignement militaire, devant la commission de la Défense Nationale et des Forces Armées, 25 mars 2015
2). Helmer J., 19/05/2015
3). Karin Strohecker et Sujata Rao, "L'Ukraine et ses créanciers loin d'un accord sur la dette", Thomson-Reuters, 6 juin 2015
5). Voir la résolution finale