Le paradoxe de l'histoire tient à trois étapes les unes plus déroutantes que les autres:
— Gel d'un contrat signé en 2010 puis menaces récurrentes d'une rupture définitive en cas de non-retrait de troupes russes imaginaires du Donbass.
— Possibilité affichée de couler le Sebastopol et le Vladivostok leur coût d'entretien et de maintenance étant trop élevé.
— Tentative de vendre les BPC à la Chine.
C'est là que la coupe a débordé la France ayant proposé à la Russie 800 millions d'euros pour que celle-ci lui autorise à transmettre les deux bâtiments à une tierce partie. En d'autres termes, le gouvernement a essayé d'acheter le droit de violer le Droit international pour une somme en fait abstraite. En voilà un tournant théâtral!
En réalité, si on revient à la genèse de cette commande, on s'aperçoit — pas mal de voix de la flotte maritime russe l'avaient dit et redit à l'époque — que les BPC de type Mistral n'était d'aucune utilité pratique pour la Russie. Elle pouvait s'en passer à merveille et se dispenser de mettre à l'eau des sous-marins supplémentaires pour les garder. Selon une version qui semble plausible, cette commande avait été motivée par un geste de bonne volonté suite à la médiation de Sarkozy lors du conflit éclair russo-géorgien. Enthousiaste, Medvedev s'était alors dit prêt à commander 4 bâtiments! Il y avait aussi, derrière ce geste hautement symbolique, la volonté d'apporter un soutien financier aux ouvriers de Saint-Nazaire, c'est-à-dire à quelque mille personnes attelées au chantier. N'oublions pas que les BPC devaient rapporter à la France près d'un milliard 250 millions d'euros. De cette façon, une éventuelle rupture du contrat sous-tendrait une double trahison: celle de la confiance d'un autre Etat (souvenons-nous des réticences initiales de l'Inde quant à l'achat des Rafale et le dossier est loin d'être bouclé!) et celle des Français engagés dans la construction des bâtiments.
Hollande évoque aujourd'hui une raison dite de force-majeure qui est le contexte politique ukrainien. Il ne s'agit que d'un prétexte monté de toutes pièces. Il n'y a aucune preuve, en tout cas officiellement déclinée, d'une ingérence militaire russe organisée dans le Donbass. Les volontaires ne comptent pas. Il y en a de tous les âges et de toutes les couleurs dans les deux camps, des Français y compris. Seraient-ils forcément envoyés par la France parce que français? Soyons sérieux. Qui plus est, peut-être faudrait dissocier l'argument économique de l'argument politique. Qui donc pouvait situer un pays appelé Ukraine en 2010? Si l'on suit la tactique française, il faudrait dire à François Hollande que la Russie n'autoriserait jamais la transmission des BPC à la Chine tant que le Quai d'Orsay n'arrêtera pas son soutien direct ou indirect à l'opposition (soi-disant) syrienne. Cette démarche serait d'une stupidité déplorable mais elle aurait le mérite de correspondre au genre de diplomatie déployée par l'Elysée.
Actuellement, le gouvernement socialiste veut s'en sortir en versant l'étrange somme de 1,6 milliards d'euros. Pourquoi un tel rabais sachant que le prix du contrat dépasse les 3 milliards? Si la Russie ne veut plus faire de réduction au peuple-frère ukrainien, pourquoi en ferait-elle à la France? Le sens des réalités commence à l'emporter sur celui de solidarité historique. La Russie pardonne depuis Napoléon Bonaparte, peut-être faudrait-il revoir les fondements de ce favoritisme et appliquer la loi du Talion qui, hélas, Hobbes dans son Léviathan avait raison, marche très bien en politique.
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