La Russie, on le sait, s'est engagée dans un ambitieux effort de rénovation de sa triade stratégique, dont nous avons déjà évoqué la composante aérienne dans le premier volet de cette série d'articles. Mais la question de la pertinence de pousser le développement du bombardier stratégique PAK-DA jusqu'à son terme n'est pas la seule qui doit être tranchée. Les multiples programmes de missiles intercontinentaux ou ICBM actuellement en cours de développement, RS-24 Yars et sa version modifiée, le RS-26 Roubej, ainsi que le futur missile intercontinental lourd Sarmat, ne constituent-ils pas une dispersion d'efforts préjudiciable?
Il semble logique d'aller au terme du développement des projets RS-24 et RS-26. Ces missiles sont quasi-invulnérables compte tenu de leur mobilité (lancement depuis un Transporteur Erecteur Lanceur ou TEL), de leur très bref temps de mise en alerte, grâce à l'usage de propergol liquide, de leur agilité enfin (phase ascendante très rapide, hypermanoeuvrabilité des corps de rentrée…) garantissant une interception quasi-impossible. Ces engins assurent le maintien du niveau de suffisance et de crédibilité des forces stratégiques russes vis-à-vis de leurs homologues américaines ou de toute autre force de dissuasion nucléaire.
Certes le développement d'engins de ce type permet d'envoyer un signal clair: la Russie a les moyens de se doter d'engins lourds, à propergol solide, sans avoir recours aux technologies de l'industrie de défense ukrainienne, auxquelles les R-36M2 et UR-100N font appel.
Mais nul n'a réellement de doute en la matière. La Russie, depuis le lancement du lanceur spatial Angara a démontré qu'elle était parfaitement en mesure de produire seule des lanceurs de nouvelle génération sans l'aide des entreprises d'Ukraine Yuzhmash, Yuzhnoye ou Arsenal.
Du point de vue de la dissuasion nucléaire, la Russie conduit par ailleurs un programme de rétrofit de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) Delfin, désormais équipés de missiles Liner bien plus performants. Quant aux navires de la classe Boréï ils entrent en service à un rythme satisfaisant tandis que leurs missiles Boulava semblent être sortis de leurs « maladies de jeunesse ».
Au total, la Russie pourra à moyen terme se reposer sur un arsenal stratégique totalement modernisé et complémentaire. RS-24 et RS-26 pour les forces stratégiques, Boréï et Boulava pour la marine, Tu-22M3, Tu-160 et Tu-95MS pour l'aviation à long rayon d'action…
Il nous semble, alors que les Américains via la doctrine Prompt Global Strike et leur programme de drone spatial hypersonique X-37 se préparent à une militarisation accrue de l'espace, que les investissements russes seraient plus judicieux pour contrer cette menace.
La mise en place de la nouvelle génération de satellites d'alerte avancée EKS pourrait être accélérée alors que la Russie a perdu son dernier engin US-KMO. La mise au point d'armes ASAT (antisatellites) et de vecteurs en mesure d'intercepter des objets évoluant à vitesse hypersonique en orbites basses, semble également un axe de développement nécessaire, de même que celui des armes à énergie dirigée sur lesquelles les Etats-Unis mettent aujourd'hui l'accent.
Ces derniers, toutefois, continueront à jouer un rôle crucial dans le cadre de conflits asymétriques ou d'affrontements interétatiques limités. Leur modernisation constitue donc un impératif. La Russie en est bien consciente qui compte, le 9 mai prochain, à l'occasion du 70ème anniversaire de la victoire dans la Grande guerre patriotique, exposer tous ses nouveaux matériels.
Ce sera l'occasion du troisième et dernier volet de cette série d'articles.
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