Les déclinaisons militaires des politiques étrangères sont abordées du bout des lèvres, essentiellement dans des cercles de spécialistes. Non par souci de ménager la possibilité d'une surprise stratégique — l'adversaire est rarement aveugle- mais surtout, dans un esprit politiquement correct, étant bien entendu qu'un Etat ne saurait préparer une agression planifiée contre qui que ce soit depuis que la guerre a été mise hors la loi par le droit international.
Au-delà des budgets de la défense et des documents officiels —textes doctrinaux ou feuilles de route vagues et convenues type « livre blanc »- qui constituent les outils privilégiés des médias pour juger des intentions des Etats, la variation des effectifs militaires, leur positionnement, leurs modes d'entraînement, l'examen des programmes d'armement en cours, constituent autant d'indications précieuses.
Depuis près d'un an le discours dominant en France, du point de vue des menaces envers notre pays, consiste à identifier deux périls majeurs.
Le premier est le danger du terrorisme islamiste, dont tout le monde convient qu'il n'a jamais été aussi grand.
Or que constate-t-on? La cible du programme Rafale reste fixée à 225 appareils (les Allemands, eux ont annulé les commandes de 37 Eurofighter en février 2014, en plein Maïdan). Nous envisagions d'acquérir 1 400 chars de combat Leclerc en 1986. Nous en avons finalement acheté 400. Début mars nous avons décidé d'en moderniser…200, à l'horizon 2020! Inutile de parler de second porte-avions. Le projet est mort et enterré depuis longtemps. Bref, nous ne faisons rien pour nous préparer à la terrible confrontation contre l'armée russe que nous prédisent certains augures.
Pour ceux qui n'auraient pas compris l'ennemi prioritaire de la France est donc clairement désigné: ce n'est pas la Russie, dont nul en Europe, en dehors de nos alliés de l'Est, ne craint un retour offensif. C'est le terrorisme islamiste. C'est l'ennemi intérieur, qui recrute de plus en plus parmi les jeunes, avec un phénomène de « jihad à la française désormais durablement ancré dans une partie de notre jeunesse », selon le coordonnateur national du renseignement (CNR), Alain Zabulon. C'est aussi l'ennemi extérieur, avec un effort des autorités françaises vis-à-vis des besoins en termes d'hélicoptères et un renforcement des unités de forces spéciales, moyens qui visent clairement la traque des djihadistes dans le Sahel ou ailleurs. Pas à contenir l'armée russe.
Nous pouvons aussi constater que les moyens financiers sont prioritairement portés sur deux axes.
Dans une large mesure on peut conclure à l'aune du programme de réarmement russe que Moscou ne poursuit pas une vaste politique de projection de puissance, similaire à celle de l'Union Soviétique, mais se concentre sur l'impossibilité pour une puissance majeure de la contraindre par la menace.
Que pouvons-nous déduire d'un examen des programmes d'armement américains? Au-delà de l'évidente fonction de corps expéditionnaire dévolue aux forces armées américaines, dont les adversaires se situent tous à plusieurs milliers de kilomètres de leurs côtes, fonction offensive légitimement assumée par les Etats-Unis depuis 1945, moins légitimement depui1991, c'est la tentative de percée technologique dans des domaines ultra-sensibles qui frappe.
Oubliez les avions de combat furtifs —qui ne le sont que pour les puissances militaires de second rang- oubliez les projets de défense antimissiles actuels. Tout cela sera bientôt dépassé.
Dans le cadre du programme « Prompt Global Strike » (PGS) les Américains veulent être en mesure de lancer une bombe intelligente, d'une précision métrique, voire décimétrique, n'importe où dans le monde en moins d'une heure. Dans cette optique leur planeur hypersonique X-37, disposant d'une soute ventrale et capable d'évoluer en orbite basse des mois durant à plus de mach 25, est l'arme idéale, ou son prototype. Ne nous leurrons pas: par simple effet de cliquet la militarisation de l'espace est engagée par l'Amérique. Or tous les militaires connaissent une règle simple: « qui tient les hauts, tient les bas. »
Et le Pentagone ne parie pas seulement sur les armes hypersoniques pour s'assurer un avantage offensif. Il investit aussi sur les technologies lasers qui lui permettront sans doute, dans les années à venir, de réussir les interceptions de missiles balistiques dont Ronald Reagan rêvait.
A moyen terme donc, c'est bel et bien la possibilité d'une rupture en leur faveur des équilibres stratégiques, qui garantissent la paix depuis près de 60 ans, que les Etats-Unis poursuivent. Une perspective qui, si elle venait à se concrétiser, serait de nature à ressusciter les pires tensions internationales.
La diplomatie d'un Etat est dans ses armes.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.