Le symptôme yéménite ou de la fin du chaos constructeur

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Fini le temps des jouets Lego où les States pouvaient se permettre, dans la lignée du testament straussien, de remodeler les frontières et de raser les résistances pour réassembler à leur convenance des briques qui ne vont pas ensemble. Analyse de Françoise Compoint.

On se souviendra des propos de Mme Rice en 2006 lors du conflit israélo-libanais qui avait alors affirmé que « les souffrances du Liban [étaient] les contractions de la naissance d'un nouveau Moyen-Orient ». Cette sage-femme s'était dite très ennuyée en 2012 par la scandaleuse intransigeance de M. Assad qui devait peut-être s'en aller pour faire plaisir aux néo-conservateurs américains, tellement impatients d'élargir leur contrôle des zones pétrolières du Moyen-Orient. Où en est-on aujourd'hui? Mme Rice, tiendrait-elle les mêmes discours? S'exprimera-t-elle avec tant d'aplomb sur le conflit yémeno-saoudite?

A file picture taken on March 26, 2013 shows Saudi Crown Prince Salman bin Abdul Aziz al-Saud attending the opening of the Arab League summit in the Qatari capital Doha - Sputnik Afrique
Riyad: l'opération au Yémen durera jusqu'à ce que les "objectifs soient atteints"
L'héritage idéologique du philosophe Leo Strauss a été audacieusement récupéré par la branche la plus belliciste de l'Establishment qui suivit à la lettre son credo: « Le vrai pouvoir ne s'exerce pas dans l'immobilisme mais bien par la destruction de toute forme de résistance ». Autrement dit, c'est le plus fort qui a le pouvoir. Le pouvoir, c'est la violence. Son exercice ne connaît pas de frontières. Il faut y ajouter que tous les moyens employés au passage sont justifiables, à savoir l'utilisation des forces subversives locales les plus obscures pourvu qu'elles participent à l'établissement de l'ordre voulu. Les exemples afghans, kosovars, libyens, irakiens, syriens ou soi-disant syriens de ladite pratique foisonnent, nous n'allons pas revenir dessus. Le problème pour les Américains, c'est qu'avec le temps et sous l'emprise de conflits internes gelés ou latents non maîtrisés, ils ont commencé par perdre le contrôle de la situation, à tel point que le chaos constructeur ou constructif, selon la traduction, prônée par l'ancienne secrétaire d'Etat US, tourne au désastre le plus total. Le Yémen n'est qu'un exemple parmi d'autres, aussi tragique que typique.

Запуск АЭС Бушер - Sputnik Afrique
Le nucléaire iranien manipulé par la crise yéménite
Sur le champ, voici ce qui s'est passé. Le Président Abd-Rabbo Mansour a été renversé en février par les Houtis, une organisation insurrectionnelle chiite qui est aussi un mouvement socio-politique de l'école théologique zaïdite du nord-ouest du Yémen. Ses militants demandent l'indépendance, la restauration du royaume mutawakkilite et le rétablissement de l'imamat zaydite. Ces revendications ne datent pas d'hier, elles remontent à 1970. Or, voici que suite à la conjugaison de deux facteurs qui sont la corruption du gouvernement déchu et son inertie face à l'AQAP (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), un conflit latent depuis voilà quarante-cinq ans a été activé et a conduit à un putsch. En fait, ce qui semble clair, c'est que ce n'est pas tant la corruption régnant au sein du gouvernement d'Abd-Rabbo Mansour qui a motivé le renversement que la position plus qu'ambiguë de l'Arabie Saoudite en Syrie — c'est l'Iran qui est visé à travers celle-ci — et en Irak. Ce sentiment d'exaspération qui serait celui de la partie chiite du pays — 45% de la population — a accentué une césure lourde de conséquences.

Премьер-министр Турции Реджеп Тайип Эрдоган - Sputnik Afrique
Yémen: Erdogan accuse l'Iran de vouloir dominer la région
Sitôt ces évènements arrivés, plusieurs acteurs antagonistes sont entrés en scène. D'une part, l'Iran, diplomatiquement soutenu par la Russie qui appelle à négocier de toute urgence, d'autre part, l'Arabie Saoudite et la Turquie soutenues par les USA qui ont donné feu vert aux bombardements saoudites sur Sanaa et le Sud du pays. Il ne nous échappera pas que M. Erdogan hypertrophie certains faits en dénonçant l'ingérence iranienne en Syrie — allusion au Hezbollah?— en Irak — des Iraniens y combattent l'EI ce qui semble louable — et au Yémen — allusion aux 5000 Iraniens combattant aux côtés des chiites yéménites?— et en appelant à ne plus tolérer cette expansion insoutenable de l'Iran. On se demande de quelle manière.

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Lavrov: les doubles standards US évidents au Yémen et en Ukraine
Ce qui ressort de ces propos complètement provocateurs, c'est que la Turquie, un pays membre de l'OTAN et l'Arabie Saoudite, allié inconditionnel américain, proposent soit (dans un premier temps?) de renforcer les sanctions contre l'Iran ou de l'entraîner dans une guerre qui vouerait le Moyen-Orient à un enfer sans nom. On le voit bien, le cas yéménite découle en partie de la politique américano-islamiste en Syrie et en Irak et constitue un véritable catalyseur d'un conflit surétendu que la chute d'Assad, si elle venait à se produire, rendrait définitivement incontrôlable. « Tout ça pour ça », dirait-on en langue familière.

Ce constat recoupe l'analyse d'Immanuel Wallerstein, sociologue américain, selon lequel « les élites [ici, l'Establishment, NDLR] ne parviennent plus à manipuler leurs obligés de bas niveau », c'est-à-dire leurs « marionnettes ». Ces dernières serviraient leurs « propres affaires, leur propre stratégie pour leurs propres intérêts, et ils manipulent eux-mêmes les élites qui prétendent les manipuler ». C'est assez vrai. De multiples ingérences ont désimmunisé le monde arabo-musulman, si bien que des forces infréquentables ont pu émerger et monter en puissance en se débarrassant de la tutelle américano-atlantiste. Wallerstein propose à ce phénomène une explication de fond philosophique: nous avons affaire à une « civilisation qui a imposé sa superpuissance à l'univers et qui n'a rien à lui offrir en fait d'orientation civilisationnelle [se trouvant ainsi] confrontée à son vide total de sens ».

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Yémen: l'instabilité du pays pénalise les Etats-Unis
Ce diagnostic est à retenir. Il explique en grande partie les incohérences de Washington et de ses alliés qui se font un plaisir de les exhiber… d'une manière ridicule. D'un côté, ils applaudissent le renversement d'un oligarque corrompu mais légitime, M. Ianoukovitch et son remplacement par un autre oligarque non moins corrompu mais illégitime ou en tout cas semi-légitime, M. Porochenko. D'un autre côté, ils s'offusquent du putsch yéménite et appellent l'Arabie Saoudite à bombarder un pays souverain pour faire revenir un Président légtime. Au-delà des intérêts US qui sont très clairs, il y a un phénomène sans précédent qui fait qu'une hyperpuissance a le droit de manipuler ouvertement le droit international qui, en ces circonstances, n'a plus aucun sens. Il n'y a donc plus aucun cadre valable garantissant ne serait-ce que l'illusion d'une stabilité dans le monde. Un tel monde ne peut pas durer longtemps.

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