Que l'UE n'a aucun intérêt à obtenir une guerre formellement civile et substantiellement par procuration sur le continent européen est une évidence sur laquelle il semble inutile de revenir. Objectivement, les USA ont toutes les raisons de s'énerver et d'agir comme ils ont l'habitude de le faire, c'est-à-dire au mépris des conséquences et avec un déchaînement caractéristique des hyperpuissances obsédées par l'irréversibilité du grand Déclin. Washington est en colère. Voici pourquoi:
Sur un plan international: John Kerry n'a pas été convié à la réunion des ministres des Affaires étrangères à Paris. Quelle gifle extraordinaire! Certains experts de la Fondation Carnegie du Brookings Institution dénoncent le va-t-en-guerrisme des McCain, Kerry, Clinton, Psaki et Nuland considérant que la livraison ouverte et importante d'armes létales à la junte ukrainienne sera le début d'une guerre généralisée avec la Russie. Poutine, n'a-t-il pas rappelé le 23 février, Jour du défenseur de la Patrie, que la Russie sera toujours en mesure de répondre aux pressions quelles que soit leur envergure et leur nature? Clairement, il s'agit d'un avertissement à peine voilé qui a aussitôt été déchiffré où il se doit. L'économie américaine est essoufflée, la dissuasion nucléaire russe invalide tout projet de guerre de haute intensité. S'ils espèrent une guéguerre longue et sanglante en Ukraine en narguant autant que possible l'ours russe, ils espèrent la mener en impliquant des Etats membres de l'UE comme la Pologne et les Pays Baltes, gavés de leurs complexes russophobes. Or, il est très peu probable que ces Etats s'impliquent dans un conflit, de un, coûteux, de deux, meurtier — qui à Varsovie, Riga ou Tallinn serait prêt à mourir pour une Ukraine unie?— de trois réprouvé par Berlin et Paris qui sont aux commandes de l'UE.
En découlent deux scénarios possibles. Si divergents soient-ils, ils ne sont pour autant pas exclusifs l'un de l'autre.
— Soit les USA, poussant leur mégalomanie débridée jusqu'à un paroxysme inégalé, multiplient leurs provocations en convaincant, promesses et menaces à l'appui, les Etats européens qui leur sont acquis à s'investir en Ukraine. Ils livrent semi-ouvertement des armes létales ce qui de toute façon ne passera pas inaperçu et motivera une riposte russe dont j'imagine encore mal la nature. Je ne crois pas au scénario d'une guerre nucléaire mais plutôt à l'essoufflement progressif du complexe militaro-industriel américain et à l'isolement politique de Washington qui aura épuisé d'ici peu tous ses moyens de persuasion et de pression.
— Les USA se prennent en main et se contentent de narguer la Russie près de ses frontières comme ils l'ont fait la veille à Narva en faisant défiler près de 1500 militaires. Ils encouragent l'Ukraine à acheter des armes à Abu Dhabi mais, dans l'idéal, c'est l'UE qui devra payer ces achats (3 milliards de dollars) comme l'a explicitement signalé Stepan Poltorak, ministre de la Défense ukrainien. Je vois mal l'UE accorder des largesses qui se retourneront à court terme contre elle. Ce rôle de mauvais génie que jouent les States sera à la longue réduit à néant sur fond de désintégration politique de l'UE.
Ce divorce de raison entre le couple USA-UK et le couple franco-allemand, donnera-t-il lieu à des bouleversements transgressant largement les frontières ukrainiennes? Certainement. Il seront aussi rudes qu'au fond inéluctables si l'Europe en tant qu'entité souveraine veut survivre.
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