La politique d'un Etat est dans sa géographie estimait Napoléon. A cette aune le sort du chaudron de Debaltsevo était scellé dès la semaine dernière. Alors que la partition de facto de l'Ukraine se confirme, il était évident que les Républiques de Donetsk et de Lougansk feraient tout pour acquérir une continuité territoriale optimale, disposer d'une frontière facile à défendre en cas de nouvelle offensive ukrainienne.
Cette violence paroxystique ne signifie pas cependant une rupture définitive du processus de paix amorcé.
Ceux-ci, dopés par la victoire, sont en mesure par un ultime effort d'élargir un peu plus encore leur emprise territoriale sur les oblasts de Donetsk et de Lougansk. Mais ils viennent d'atteindre un objectif opératif majeur et vont sans doute éprouver le besoin de souffler après plus de cinq semaines de durs combats. Et ce sont des combattants suffisamment aguerris pour ne pas prendre en compte tous les paramètres diplomatiques et militaires susceptibles de se retourner contre eux s'ils décidaient de pousser leur avantage.
Les paramètres militaires sont classiques. Les séparatistes peuvent pousser leurs troupes jusqu'à Slaviansk, Kramatorsk et reconquérir le terrain perdu l'été dernier. Mais ce contrôle peut désormais s'envisager politiquement dans le cadre du futur statut du Donbass, compte tenu de la faiblesse des autorités de Kiev et de leur isolement croissant.
De même une poussée vers Marioupol et, au-delà, jusqu'à l'isthme de Perekop, pour assurer la jonction terrestre de la Russie et de la Crimée, semble difficilement envisageable.
D'abord parce qu'une telle conquête de tout le littoral de la mer d'Azov ne correspond pas aux objectifs politiques énoncés par les autorités séparatistes.
Enfin parce qu'il n'est pas si simple de foncer jusqu'à la Crimée: de Marioupol à l'isthme il y a plus de 300 kilomètres à franchir vers l'ouest. L'hypothétique théâtre d'opérations est jalonné de villes importantes, Mélitopol, Berdyansk, Primorsk…Ces agglomérations, dont la prise est nécessaire au contrôle des axes routiers de la région, sont susceptibles de constituer autant de points d'appui susceptibles de freiner une offensive séparatiste. Par ailleurs une contre-offensive ukrainienne bien menée sur les arrières d'une telle attaque, suivant un axe nord-sud vers la mer d'Azov, pourrait aisément couper les lignes de communication des assaillants. En s'approchant du fameux « point culminant de la victoire » cher à Clausewitz, les séparatistes se mettraient donc en danger. Ces derniers, conscients de ne pas disposer de l'instrument militaire idoine pour une offensive militaire de grand style, exigeant des troupes motorisées nombreuses, une forte puissance de feu et une infanterie conséquente pour veiller sur les flancs et les arrières, ne se lanceront probablement pas dans une telle aventure.
Pour eux l'heure est surtout venue d'encaisser les dividendes politiques de leur victoire. Ils en ont la possibilité, inenvisageable en début d'année, s'ils savent se cantonner à des ambitions restreintes.