Rien ne semblait surtout pouvoir entraver la marche en avant du capitalisme ultralibéral et de la démocratie à la mode américaine. Dans le monde unipolaire ainsi créé, la prise de contrôle par l'Otan des gigantesques territoires qui s'étendent de l'est de la Vistule et jusqu'au pacifique paraissait inévitable, analyse d`Alexandre Latsa.
Pourtant, la politique américaine à l'égard de l'Europe et de l'Eurasie n'a pas changé. L'extension de l'Otan vers l'Est s'est poursuivie, se superposant à l'extension de l'Union européenne. En conséquence, nombre de commentateurs voient désormais Bruxelles comme un simple sas d'entrée destiné à pré-intégrer des Etats au sein de la communauté euro-atlantique et de l'Alliance militaire sous domination américaine.
Sans trop de surprise, on a constaté que les opérations militaires de 2008 en Géorgie et la lente dégradation des relations entre Russie et Occident, mais aussi entre Russie et Europe, ont incité Moscou à accélérer la constitution d'un pôle eurasien russo-centré, qui permet désormais à Moscou d'affirmer sa spécificité entre Europe et Asie et son agenda propre.
Le coup d'Etat de 2013 en Ukraine a entraîné une réorientation stratégique du pays, ce qui a fait naître plusieurs menaces évidentes pour la Russie. Dès le début des événements, les occidentaux ont considéré que c'était un coup d'Etat démocratique qui augurait en Ukraine la fin de la "période prorusse", un accord économique avec l'Union européenne et un éventuel rapprochement avec l'Otan.
Le conflit militaire en Ukraine, qui met indirectement aux prises le monde occidental américano-centré et le monde russo-centré, a placé l'Europe devant un dilemme historique. D'un côté nos gouvernements européens se sont soumis à l'atlantisme régnant qui a fait de l'Europe une tête de pont américaine; mais d'un autre côté, la facture s'annonce très lourde pour les nations européennes. Les sanctions instaurées et les mesures de rétorsion russes ont engagé Europe et Russie dans une relation perdant-perdant qui s'aggrave, sans apporter aucune amélioration à la situation sur le terrain en Ukraine. D'un point de vue historique et plus global, l'affaire ukrainienne a surtout réduit à néant le projet de partenariat qui aurait dû émerger entre l'Europe et la Russie, partenariat imaginé par les élites russes et européennes depuis les années 90.
Il y a urgence parce que la proposition américaine de livrer des armes au gouvernement ukrainien pourrait être interprétée par le président Porochenko comme sa dernière chance de poursuivre et surtout de gagner cette guerre. Mais ces livraisons d'armes seraient un pas de plus vers une intensification du conflit que ni Berlin, ni Paris ne souhaitent.
Peut-on espérer qu'il s'agisse d'un retournement politique et stratégique de fond, et que Berlin et Paris sont à nouveau disposés à réanimer le projet d'un axe « Paris-Berlin-Moscou » qui projetterait l'Europe vers l'Eurasie? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais ce serait un pas décisif vers un monde multipolaire.
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