La faute du chaos libyen s'aggravant de plus en plus vite dans les derniers jours est à plusieurs sujets: en Europe, à la France, à la Grande-Bretagne et à l'Italie; parmi les Pays arabes, aux monarchies du Golfe et en particulier l'Émirat du Qatar. Comprendre comment on est arrivé à la situation actuelle n'est pas seulement une question de précision historique, mais nous aide aussi à comprendre pourquoi il va être difficile d'envisager une réponse partagée.
En particulier, Kadhafi n'avait pas adhéré au projet sarkozien de « Union Méditerranéenne », soupçonné d'être une forme néocolonial d'intromission dans les affaires arabo-africaines, et la Lybie restait un État observateur de cette organisation.
De même, Tripoli avait refusé de participer à l'AFRICOM, le commande militaire étatsunien pour la sécurisation de l'Afrique. Malgré un partenariat signé avec la France en 2006, Kadhafi n'avait voulu non plus conclure une affaire de fournitures militaires (hélicoptères et avions de chasse « Rafale »). Mais c'était surtout l'activisme financier du Colonel qui avait inquiété aussi bien l'Élysée que Downing Street et la Maison Blanche. Grâce aux riches revenus dérivant du pétrole, la Lybie avait destiné des milliards de dollars dans différents projets en Afrique, tel que l'aménagement du plus grand oléoduc dans la République Démocratique du Congo.
En outre, Tripoli projetait de constituer une Banque d'Investissement à Syrte, un Fond Monétaire à Yaoundé, au Cameroun, et finalement une Banque Centrale Africaine à Abuja, au Nigéria. Le résultat de ces trois manoeuvres conjointes aurait été très ambitieux: l'institution d'une nouvelle monnaie, le dinar d'or, capable de remplacer le dollar dans les échanges commerciaux et en principe aussi le franc CFA, c'est-à-dire la monnaie utilisée dans les ex-colonies françaises et toujours dépendant du Trésor français. À cela on peut ajouter les indiscrétions sur le financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy de la part justement du Colonel libyen, un facteur qui s'ajoutait à cette politique continentale peu compatible avec les intérêts français en Afrique, notamment dans les ex-colonies.
Après la mort de Kadhafi, la Lybie a donc connu une instabilité permanente, puisque l'interventionnisme musclé des Occidentaux à été suivi par l'incapacité de gérer les conséquences de la guerre et par l'appui à ce genre de personnages discutables. Le trois régions historiques qui constituent le territoire libyen — la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan — ont vu la multiplication des groupuscules et des factions, souvent soutenu par d'autres Pays arabes. Tout particulièrement, le Qatar a joué un rôle décisif avec une ingérence dénoncée par plusieurs sources (dernièrement, par le gouvernement égyptien aussi). Par exemple, Abdel Rahīm al-Kīb, Président du Conseil de transition entre 2011 et 2012 et puis Premier Ministre intérimaire, à été indiqué comme le sponsor des intérêts de Doha, étant donné son travail dans les compagnies pétrolières du Golfe. De même, l'ex combattant en Afghanistan Abdelhakim Belhadj, à la tête du mouvement islamiste Al-Watan, a été également reconnu comme sponsorisé par le Qatar.
Lorsque la semaine dernière les milices islamistes se reconnaissant dans le Califat Islamique (Daesh) ont rejoint Syrte, cela n'a pas surpris les connaisseurs du contexte nord-africain: cette avancée surgit en fait sur un terrain d'instabilité et de tensions bien connu, dont la Cyrénaïque est le bassin principal d'où partaient depuis des années les islamistes combattants en Irak. Après la barbare exécution de 21 chrétiens coptes, l'Egypte du Général Al-Sissi n'a pas voulu attendre pour frapper avec sa force aérienne, tout comme avait fait la Jordanie il y a quelque semaines après la mort de son pilote Maaz al-Kassasbeh en attaquant le Daesh entre Syrie et Irak. Le Caire a également demandé le soutien des Nations Unies pour une coalition militaire, mais la séance du Conseil de Sécurité du 18 février n'a pas approuvé pour le moment aucune intervention.
Or si au nom de la sécurité tous les États se disent prêts à coopérer, la vrai charge est la stabilisation du Pays après une épreuve de force qu'il est probable sera déclenchée. Il est évident l'impossibilité d'envisager une solution politico-diplomatique n'impliquant pas la participation des Pays arabes, mais le problème ici est justement le choix des alliés. Les dirigeants européens et étatsuniens, qui devant les respectives opinions publiques se disent choqués par la barbarie de l'extrémisme islamiste, ne dédaignent pas de soutenir les factions les plus radicaux de l'islam lorsque cela est fonctionnel à ses propres intérêts. Dans le contexte actuel, l'Egypte de Al-Sissi démontre une certain pragmatisme et une attitude modérée (qu'on voit bien, par exemple, vis-à-vis d'Israël), qui en fait le candidat principal pour influencer d'autres État nord-africains, tels que l'Algérie et la Tunisie, craignant l'avancée islamiste. Il est donc souhaitable que le Caire prévaut sur les Pays arabes plus ambigus, comme l'Arabie Saoudite et la Qatar, qui ont jusqu'à présent soutenu les factions extrémistes, des Salafites jusqu'aux Frères Musulmans. Côté européen-occidental, il faudrait aussi éviter la réitération du scénario de 2011, avec les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne en tête. Cette fois-ci, la Russie est appelée donc jouer un rôle plus active, peut-être justement via sa relation privilégiée avec l'Egypte qui semble devenir de plus en plus étroite.
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