La Russie a considérablement augmenté sa production d’armes au cours de la dernière année, en dépit de la pression des innombrables sanctions. Interrogés par Sputnik à l’occasion de la Journée nationale de l'armurier célébrée le 19 septembre, des analystes militaires russes expliquent quelles armes ont été améliorées et quelles innovations ont été apportées dans le domaine de la défense lors du conflit en Ukraine.
Sur fond d’une relance générale, il est à distinguer la fabrication d'armes légères, d'artillerie de différents calibres, de chars, d'hélicoptères et d'avions à des fins diverses, de gilets pare-balles et de radios, de jumelles, de télémètres, a affirmé Viktor Litovkine, colonel à la retraite de l'armée russe et analyste militaire.
"Toute opération militaire, en particulier une opération militaire à grande échelle comme l'opération militaire spéciale en Ukraine, mène certainement à une augmentation des commandes de la Défense de l'État et au développement de l'industrie militaire. C'est certainement vrai […]. Presque tous les domaines ont reçu une impulsion pour le développement", a-t-il dit.
Les achats de la Défense ont décuplé, selon le Président Poutine, notamment dans la production d’aéronefs sans pilote, dans le domaine des communications et des équipements de reconnaissance, a noté l'expert.
"En général, tous les domaines impliqués pour fournir aux forces armées des systèmes d'appui au combat, ainsi que des systèmes d'appui-feu pour les attaquants et les défenseurs - tout cela a été développé. Ici, l'influence de l'opération militaire spéciale est bien sûr énorme", a résumé M.Litovkine.
Protection contre les drones ennemis
Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n'y a jamais eu d'actions militaires d'une telle intensité, puissance et ampleur, a estimé de son côté Dmitri Drozdenko, analyste militaire et rédacteur en chef du portail Fatherland Arsenal.
La tactique, la stratégie et la science militaire de la Russie sont "entrées en collision" avec celles de l’Occident, a-t-il souligné, ajoutant que cela a incité les producteurs d’armes russes à explorer de nouvelles approches, des réponses symétriques et asymétriques.
"L'exemple le plus typique est celui des drones civils quadricoptères, qui se sont transformés en formidables armes. Auparavant, nous essayions de camoufler les chars et les véhicules blindés, c'est-à-dire de les rendre invisibles sur le champ de bataille. Maintenant ces véhicules sont équipés de ce qu'on appelle de "vérandas" ou de "paniers". Il s'agit d'une protection contre les drones qui larguent des bombes. […] Puis les drones FPV sont apparus, et en conséquence, une protection spéciale est aussi apparue, qui est déjà couramment installée dans des ateliers à l’étape de l’assemblage", a expliqué Dmitri Drozdenko.
Lors du forum russe militaro-technique Armée-2023, qui s'est tenu le mois dernier au Patriot Park dans la région de Moscou, un char russe T-90M a été exposé doté d'une protection supplémentaire contre les Javelins et les drones dans la partie supérieure. Un nouveau modèle du véhicule d'infanterie tactique 4x4 polyvalent super protégé Tigr-M a été également dévoilé durant ce salon.
L'exposition présentait entre autres de nombreux autres véhicules militaires dotés d'une protection supplémentaire contre les drones et conçus en tenant compte de l'expérience de l'opération militaire spéciale en Ukraine.
Solution pour le dilemme du combat de contre-batterie
Les duels d'artilleurs acquièrent un rôle de plus en plus croissant sur le champ de bataille, poursuit Dmitri Drozdenko. Lorsqu'ils sont engagés dans un combat de contre-batterie (qui envisage la destruction ou la neutralisation des systèmes d'appui-feu de l'ennemi), les obusiers de 152 mm de calibre 47 datant de l'ère soviétique (par exemple, 2S19 Msta-S) pourraient être surpassés par leurs analogues de l'Otan de 155 mm de calibre 52, étant donné la plus grande portée de frappe de ce dernier.
"Dans ce cas, la portée de tir de l'artillerie est très importante: dans un combat de contre-batterie, s'ils vous tirent dessus à la distance maximale et si vous ne pouvez pas les atteindre physiquement, cela pose un problème", a détaillé l’expert.
Pour résoudre ce dilemme, les armuriers russes ont créé le 2S35 Koalitsia-SV, un canon automoteur qui devrait compléter et éventuellement remplacer le 2S19 Msta russe. Le Koalitsia est équipé de canons de 152,44 mm ou de 155 mm et dispose d'une portée de tir maximale de 80 km et d'une cadence de tir de 16 coups/min. Les caractéristiques de combat du Koalitsiya lui permettent d’atteindre les obusiers de l'Otan, comme le CAESAR français, a souligné M.Drozdenko.
Les drones kamikazes russes Lancet (ou munitions de vagabondage) se sont également révélés efficaces dans le combat de contre-batterie, a continué l’analyste.
"Avec leurs frappes, les Lancet ont éloigné l'artillerie occidentale de la ligne de front. En conséquence, nous avons amélioré la qualité du circuit de contrôle de la batterie. [...] C'est une innovation et une innovation massive", a-t-il souligné.
Armes particulièrement efficaces
Le complexe militaro-industriel national travaille actuellement en trois équipes pour satisfaire les besoins de l'armée russe.
Le conflit ukrainien a notamment appris à la Russie qu'il est nécessaire de développer et d'améliorer des armes de haute précision, selon Pavel Kalmykov, analyste au sein d'un bureau d'analyse militaire et politique et lieutenant-colonel de réserve.
"Il s'agit des missiles de croisière Kalibr, de divers missiles aériens de haute précision – il y en a toute une gamme. La liste pourrait être longue: les missiles hypersoniques Kinjal, les Iskander basés au sol , etc. […] Il est clair qu'il est nécessaire d'augmenter leur production", a-t-il déclaré M.Kalmykov.
Les bombes aériennes guidées de grande puissance russes se sont également révélées utiles, selon l'expert militaire. Il a expliqué que l'aviation peut les utiliser sans entrer dans la zone de défense aérienne de l'ennemi et les larguer à distance. Et puis la bombe est contrôlée par un GPS ou un signal similaire, a précisé l’analyste.
Les chars de combat ont, eux aussi, fait un retour historique, poursuit-il.
"Récemment, et avec une faible intensité des opérations de combat, le rôle des chars a été généralement oublié, et il semblait qu'ils allaient appartenir au passé, tout étant décidé par l'aviation, l'artillerie, etc. Mais le conflit ukrainien a montré que sur un vaste théâtre d'opérations militaires, les chars jouent un rôle décisif; lorsque de grandes formations de troupes se rencontrent, le rôle des chars est important", a conclu Pavel Kalmykov.
Armes à venir
Les fabricants d'armes russes ont déjà beaucoup appris du conflit en cours, notent les analystes. Sur cette base, de nouveaux systèmes seront produits.
"Premièrement, tous les analystes affirment qu’à l'aide de vedettes aériennes sans pilote, il est possible d'augmenter considérablement la précision du contrôle des tirs d'artillerie", a révélé Pavel Kalmykov.
Le principe est le suivant: coup pour coup. C’est si le guidage est effectué à l'aide d'opérateurs de n'importe quel système d'artillerie, de systèmes de lancement de roquettes multiples ou même d'un canon puissant. C’est que le projectile atteindra exactement la cible, a précisé l’expert.
"Maintenant, si ce problème est résolu, le conflit passera à un niveau complètement différent, les tactiques des opérations de combat vont changer. En ce moment, les producteurs d’armes russes travaillent sur comment créer des systèmes qui, à l'aide de drones, dirigeront avec précision les tirs d'artillerie vers la cible", a-t-il poursuivi.
Deuxièmement, la Russie améliore ses systèmes de guerre électronique (GE). Auparavant, d'anciens officiers du Pentagone avaient reconnu que les systèmes de guerre électronique russes étaient sans égal, alors que les experts militaires russes insinuaient que les nouveaux systèmes de guerre électronique russes pourraient perturber le fonctionnement des satellites et même désactiver le Starlink de SpaceX, si nécessaire.
Troisièmement, les militaires russes ont réussi à capturer lors des combats les derniers modèles d'armes occidentales, des systèmes de lance-roquettes multiples, des chars et des canons automoteurs, a rappelé Pavel Kalmykov. Tout cela est aujourd’hui à l'étude, selon l'expert, ajoutant qu'en conséquence, le complexe militaro-industriel national a la possibilité d’utiliser les meilleures solutions d'ingénierie.
Enfin, le secteur de la défense russe œuvre sur des armes de pointe basées sur de "nouveaux principes physiques", selon les récentes déclarations du Président Vladimir Poutine. Bien que le dirigeant russe n'ait pas fourni plus de détails, les observateurs affirment que ce type d'armes modernes pourrait inclure des armes à énergie dirigée, des armes électromagnétiques, des armes géophysiques, des armes radiologiques, pour n'en citer que quelques-unes. Selon le vétéran et l'observateur militaire russe Viktor Murakhovsky, Vladimir Poutine parlait très probablement de lasers et d'autres armes basées sur la physique des hautes énergies.