Le plafonnement des prix du gaz: une décision "absurde" qui aura des "conséquences néfastes"

Alger a condamné le plafonnement par l’UE des prix du gaz qui pourrait ébranler le marché. Interrogé par Sputnik, des analystes algériens ont livré leurs réflexions sur les effets possibles pour l’Algérie, qui devrait s’y opposer. Entre-temps, le plafonnement n’aiderait pas l’UE à sortir de sa crise d'énergie provoquée par une mauvaise politique.
Sputnik
Approuvé par l’UE, le plafonnement des prix du gaz viole les principes de l’économie de marché, ont estimé plusieurs analystes économiques algériens dans une interview accordée à Sputnik.
L’Algérie a critiqué cette "décision unilatérale qui aura un impact négatif", selon le ministre de l’Énergie.
En effet, c’est une démarche "absurde", selon Souhila Berrahou, docteur en économie, "qui n’est pas fondée et n’est pas scientifique, contradictoire avec les lois du marché".
Ce mécanisme pourrait déstabiliser le marché gazier car il s’agit de "pressions économiques et politiques exercées sur la Russie, sur l'Algérie, sur le Qatar, sur les plus grands pays" producteurs, souligne Farid Benyahia, expert en économie et en géopolitique, chercheur en relations internationales.

Ce que pourrait faire l’Algérie

Le pays, qui est un exportateur important de gaz, ne devrait pas se soumettre à ces conditions européennes, selon les experts interrogés. Surtout en raison de ses investissements à long terme dans la production, coûteuse, de gaz plus propre.
"Ce serait suicidaire d'accepter une telle décision. Heureusement, que ce n'est pas le cas. Alors pour les conséquences, je dirais que ce sera des conséquences néfastes, même s'il est temporaire. Les investissements prévus pour l'Algérie et son économie seront très touchés", poursuit Mme Berrahou, qui est aussi chercheuse en relations internationales de l'École nationale des sciences politiques à Alger.
Pour M.Benyahia, il s’agit ausside la défense de la souveraineté algérienne. Le pays "n'accepterait jamais, jamais que son gaz soit plafonné, il y a le prix du marché et ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est que nous avons négocié d'une manière bilatérale avec l'Italie, avec l'Allemagne et on ne va pas négocier avec toute l'Union européenne", explique-t-il.
Pour faire face, certains pays producteurs de gaz pourraient même créer un cartel du gaz, réunissant par exemple la Russie, le Qatar, le Nigeria, Trinité-et-Tobago, avance l’analyste. Une action indispensable pour s’opposer aux États-Unis qui envisagent d’exporter leur gaz liquéfié vers l’Europe.
Pour conclure, "nous allons défendre nos intérêts sur le gaz parce qu'on veut vendre notre gaz au prix du marché. […] Si on fait des contrats à long terme, il y aura peut-être un discount, un petit peu par rapport à certains pays, mais pas au détriment de l'intérêt général de l'Algérie", a souligné M.Benyahia. Surtout alors que la stratégie nationale est de presque doubler ses capacités de production.

Conséquences pour l’UE

Malgré les ambitions annoncées pour ce plafonnement, cela "ne réglera pas le problème énergétique et la crise énergétique" en Europe, a estimé la docteur en économie. Et cela aura des "conséquences néfastes" car son origine n’est pas liée au conflit en Ukraine :
"Cet échec ou cette crise est dû essentiellement aux mauvaises politiques énergétiques entretenues en Europe par leur Parlement et, je dirais, par leurs politiques et leur mauvaise gouvernance.(…) C’est juste un moyen de gagner du temps pendant un moment".
D’une manière ou l’autre, ce plafonnement semble avoir un côté populiste, car "il se pourrait bien que ce soit une façon aussi de leurrer les populations européennes et gagner la confiance du réservoir votant en Europe, surtout que la confiance des Européens a nettement reculé dans leurs élus", a ajouté Mme Berrahou.
Cet avis est partagé dans ses grandes lignes par M.Benyahia. Selon lui, "l'Europe ne peut pas sortir de cette crise énergétique parce qu'il faut beaucoup de moyens", tandis que les Américains sont incapables de couvrir tous ses besoins.
Le plafonnement produirait un effet temporaire d’apaisement du mécontentement total des habitants de l’UE, sans cependant donner de grands résultats, nuance l’expert.
Mais plus tard, "il y aura beaucoup de pression sur la population européenne qui vont payer cette facture due peut être aux mauvaises décisions prises par certains politiques".
Et d’ajouter: "Ce sont des décisions essentiellement populistes qui ne veulent rien dire pour le moment".

Comment l’UE peut-elle s’en sortir?

Comme la cause de la crise réside dans la politique erronée de l’UE, les pays devraient revisiter leur approche de négocier les contrats de gaz. Il faudrait opter pour des "contrats plus longs", suggère la docteur en économie.
Par ailleurs, si le conflit russo-ukrainien s’achève par l’acception des conditions russes par Kiev, les négociations reprendraient, tout comme les exportations russes vers l’Europe, a suggéré Souhila Berrahou.
Il faut néanmoins prendre en compte l’augmentation continue de la demande en gaz, "locomotive du développement économique", a mis en exergue M.Benyahia. "L'Europe restera toujours tributaire et demandera toujours et encore plus". C’est pour cette raison que les Européens et la Russie seront obligés, "tôt ou tard", de se retrouver à la table des négociations, conclut-il.
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