À part ses échecs aux élections locales du 23 janvier 2022, la grève continue des enseignants du cycle secondaire et la hausse vertigineuse des prix, le chef d’État sénégalais Macky Sall surfe sur un nuage. Président en exercice de l’Union africaine depuis le 5 février 2022, parrain des Lions du Sénégal vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) à Yaoundé le 6 février 2022, il a inauguré ce 22 février le stade flambant neuf érigé dans la ville nouvelle de Diamniadio à 45 kilomètres de Dakar. Un joyau de 50.000 places sorti de terre avec 238 millions d’euros (environ 156 milliards de francs CFA) grâce aux compétences turques. Une cérémonie sous le sceau d’une réconciliation politique espérée avec son prédécesseur. C’est en effet à Abdoulaye Wade qu’a été attribué le nom du nouveau stade appelé à abriter dorénavant les grandes rencontres internationales du Sénégal.
Inauguration du stade de Diamniadio, le 22 février 2022
© Photo Cheikh Diallo
Inauguration du stade de Diamniadio, le 22 février 2022
© Photo Cheikh Diallo
Inauguration du stade de Diamniadio, le 22 février 2022
© Photo Cheikh Diallo
Inauguration du stade de Diamniadio, le 22 février 2022
© Photo Cheikh Diallo
Entre Macky Sall et Abdoulaye Wade, les histoires ne finissent jamais, toujours centrées sur des rapports de forces politiques sur fond d’ententes tactiques scellées par l’entremise de mystérieux émissaires, mais jamais dévoilées. Cinq ans après avoir refusé que son nom soit associé au nouvel aéroport international de Diass, Wade est allé à Canossa, sans tambours ni trompettes. Il a félicité "le Président Macky Sall pour cette réalisation" et s’est dit "honoré par ce geste et cette marque de reconnaissance qu’il accepte", dans un courrier rendu public par son parti. Un revirement qui interroge.
"C’est surprenant a priori certes, mais il faut voir que Léopold Sédar Senghor a eu son stade, son aéroport et son avenue, Abdou Diouf, son centre international, [le Premier ministre, ndlr] Mamadou Dia, son building administratif. Il est normal donc que le troisième Président de la République, Abdoulaye Wade, ait son stade même si on peut avoir des réserves, ou du moins si on peut se poser des questions par rapport à cette décision du Président Macky Sall. En tout cas, moi, je m’en pose", souligne l’essayiste Mody Niang interrogé par Sputnik.
Célèbre autant pour ses chroniques politiques et sociales que par ses publications, Mody Niang rappelle que les relations entre Wade et Sall "n’ont jamais été au beau fixe, en tout cas au moins depuis que Karim Meïssa Wade, fils bien aimé de son père, a été condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite". D’ailleurs, "leurs relations ont été si mauvaises que le +père+ [Abdoulaye Wade, ndlr] a eu à traiter publiquement et sans état d’âme le +fils+ [Macky Sall, ndlr] d’+esclave+ et d’+anthropophage+. Le +fils+ ne peut pas oublier, non plus, la manière dont le +père+ l’a fait chasser de la présidence de l’Assemblée nationale" en 2008, début de la longue marche de Sall vers la présidence.
"Le problème de Macky Sall – celui que j’appelle le Président-politicien et qui l’est effectivement, c’est l’après 2024. En février-mars de cette année, sa gouvernance aura duré 12 ans. Or, celle-ci a été très loin de la transparence, de la sobriété et de la vertu qu’il nous promettait. Au contraire, elle a été jalonnée de scandales de toutes sortes, aussi graves les uns que les autres. Macky Sall craint donc comme la peste de se faire succéder par un homme ou une femme qui fouinera dans sa gestion nébuleuse. Pour faire face à cet homme ou à cette femme, il pense peut-être à la réunification de toute la famille dite libérale qui se mobilisera pour porter sa candidature ou, si ce n’est pas possible, celle d’un Karim Wade par exemple", explique Mody Niang.
Exilé au Qatar depuis 2016 après une grâce présidentielle, puis déchu de ses droits civiques et politiques, Karim Wade est devenu un mystérieux objet politique, de même que son père d’ailleurs. Leur trajectoire commune est souvent considérée comme illisible par de nombreux observateurs. Que cherchent-ils en réalité dans des postures variant de l’ambiguïté à la radicalité face au pouvoir de Macky Sall?
"À 97 ans, Abdoulaye Wade sent sérieusement le poids de l’âge. Pas seulement. Les modestes résultats de sa coalition Wallu Senegaal aux élections locales du 23 janvier 2022 semblent l’avoir ramené sur terre, avec les siens. Il serait prêt donc à toutes les compromissions pour obtenir l’amnistie de son fils bien aimé, Karim Wade, lequel pourrait ainsi devenir candidat à l’élection présidentielle de février 2024. La seule préoccupation de sa vie. Mais en attendant, Macky Sall attendait-il cette opportunité permise par le sport pour faire accepter au Parti démocratique sénégalais [de Wade, ndlr] de cheminer avec lui dans le nouveau gouvernement qu’il va mettre en place", note Mody Niang.
La cérémonie d’inauguration du stade Abdoulaye-Wade a rassemblé plusieurs milliers de personnes et des invités de marque pour le Président Macky Sall. Ses homologues Paul Kagamé du Rwanda, George Weah du Liberia, Adama Barrow de la Gambie, Umaru Sissoco Embalo de la Guinée-Bissau ainsi que les Présidents turc Recep Tayyip Erdogan et allemand Frank-Walter Steinmeier étaient dans la loge présidentielle. Un match de gala a opposé des légendes du football africain à des anciennes gloires sénégalaises.