Explosion immobilière et blanchiment de capitaux: y a-t-il un laxisme sénégalais?

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Immeuble à Dakar (photo d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 19.02.2022
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Ouvert sur le monde, le Sénégal s’est pris d’addiction au blanchiment d’argent par le truchement de l’immobilier. Une explosion sectorielle qui serait en lien avec le trafic de drogues et ne semble plus avoir de limites. Pour l’Observatoire régional de la criminalité en Afrique de l’Ouest, il faut agir.
De quoi Dakar est-il devenu le nom? Le béton coulé dans de gigantesques immeubles qui fleurissent aux quatre coins de la capitale sénégalaise étale sans cesse ses tentacules, imperturbable, dans un défi sans limites à la nature et à l’environnement. De Sacré-Cœur à Yoff, du centre-ville aux Almadies en passant par la Corniche-ouest, de la Médina aux banlieues extrêmes, chaque jour, des bâtisses de formes variées, belles ou laides, attirantes ou curieuses dans leur architecture, viennent gonfler le patrimoine de personnes physiques et morales dont une partie conséquente est attirée par les bonnes affaires d’un secteur lucratif souvent assimilé à une zone sans risque.
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Mais derrière le rideau de l’explosion immobilière dans Dakar, prospèrent des activités criminelles liées au blanchiment de capitaux, au trafic de stupéfiants, au financement du terrorisme, selon l’Observatoire régional de la criminalité organisée en Afrique de l’Ouest rattaché à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Dakar dans un récent rapport.

"Le Sénégal se classe actuellement huitième au monde pour les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Selon l’Évaluation nationale des risques de blanchiment d’argent, l’un des principaux facteurs dans le pays est le trafic de drogue, une économie illégale qui génère près de 360 millions de dollars (200 milliards de francs CFA) par an. Les trafiquants de drogue utilisent diverses opérations pour blanchir leur argent, l’immobilier et la construction étant les secteurs privilégiés", souligne Abdelkader Abderrahmane, auteur de l’étude.

Dans l’une de ses dernières enquêtes, la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) du Sénégal révélait que sur 240 milliards de francs CFA (366 millions d’euros environ) investis dans des constructions immobilières (la période n'a pas été précisée), seulement 10 milliards de francs CFA environ 15 millions d’euros) ont pu être tracés au niveau du bancaire sénégalais. Selon l’étude précitée de l’Observatoire régional de la criminalité en Afrique de l’Ouest, il y a un début d’explication à ce phénomène.

"La flexibilité de l’immobilier, qui permet de dissimuler l’origine des fonds de l’investissement et du propriétaire, rend le secteur attractif pour quiconque souhaite faire passer des fonds illicites dans l’économie légitime. En 2011 déjà, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) affirmait que la facilité d’acquisition de biens immobiliers au Sénégal était exploitée par les trafiquants de drogue basés en Europe dans le but de blanchir de l’argent. L’absence de registre central et le recours à des noms d’emprunt par les investisseurs constituent une couverture",analyse Abdelkader Abderrahmane.

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Dans plusieurs quartiers de Dakar, la démolition de vieux bâtiments programmée pour faire place nette à des immeubles flambants neufs est devenue un sport quotidien. Dans les zones résidentielles de Point E, Almadies, Ngor, Fann Résidence ou traditionnelles de la Médina, Yoff, Ngor ou Ouakam, des maîtres-maçons, architectes (pas toujours), ouvriers et manœuvres contribuent à cette explosion immobilière dans la ville-capitale. Mais d’après l’auteur de l’étude, le pire s’est déplacé à l’intérieur du pays notamment dans cette grande zone balnéaire appelée "Petite côte.".

"L’argent liquide issu du trafic de drogue aurait également permis de stimuler la construction dans tout le pays et dans les villes côtières de Dakar, Saly et Mbour. Certains grands projets immobiliers sont soupçonnés d’être financés par le commerce illicite, dont Akon City, un mégaprojet financé par le chanteur américano-sénégalais Akon qui devrait être achevé en 2029. De nombreux Sénégalais craignent que cesystèmene fasse que faciliter le blanchiment d’argent. De même, untrafiquantde drogue français recherché par Europol a investi massivement dans des terrains et construit des centres commerciaux et des bureaux", signale l’Institut d’études de sécurité.

"Sur liste grise"

Le Sénégal a "résolument" entamé des "actions correctives dans la mise en œuvre des obligations des entreprises et professions non financières désignées" pour "renforcer son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux", rappelait la présidente du CENTIF Ramatoulaye Gadio Agne. Il semble toutefois que les progrès enregistrés ne soient pas significatifs et pourraient même avoir renforcé les inquiétudes des partenaires du pays qui pointent "son manque d’expertise technique en matière (…) de formation des employés des entreprises financières (tels que les bureaux de change et les services de transfert d’argent) à identifier le blanchiment d’argent.".

"Ces dernières années, le Sénégal a renforcé son cadre juridique et institutionnel pour lutter contre le blanchiment d’argent.Cependant, certaines de ces dispositions ne sont pas encore pleinement mises en œuvre. Malgré l’engagement du gouvernement à collaborer avec le GIABA et le GAFI pour lutter contre le blanchiment d’argent, la présence du Sénégal sur la liste grise de ce dernier indique que les progrès sont lents",fait savoir Abdelkader Abderrahmane.

Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) est l’institution spécialisée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) dans ce domaine. Le Groupe d’action financière (GAFI) est le producteur de recommandations et de normes pour lutter contre blanchiment de capitaux à travers le monde. Pour ces deux organes, "la politique financière actuelle du Sénégal pourrait même indirectement favoriser ces flux d’argent illicites (car) le blanchiment d’argent est favorisé par l’utilisation généralisée d’argent liquide, l’importance du secteur informel et un système judiciaire qui ne permet pas à la police d’obtenir des informations sur les bénéficiaires présumés du blanchiment d’argent".

"Cette situation est aggravée par le fait que la monnaie locale, le franc CFA, utilisé par tous lesÉtats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), soit indexée sur l’euro. Par conséquent, les pays de l’Uemoa, et donc le Sénégal, n’ont pas de contrôle sur les flux de leur propre monnaie, qui est en outre imprimée en France", signale l’Institut d’études de sécurité.

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Les investissements "criminels et frauduleux" qui ont pris possession de pans entiers du secteur de l’immobilier au Sénégal sont traqués par la CENTIF qui transmet des dossiers à la justice et s’en lavent les mains. Ngouda Fall Kane, ancien président de cette institution qui dépend du ministère des Finances, s’était insurgé contre les absences de poursuites contre les délinquants présumés, même si l’État dit privilégier les solutions à l’amiable dans les cas où cela est possible.
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