Rébellion indépendantiste: "profondément touchée dans son orgueil", que fera l'armée sénégalaise?

© AFP 2024 SEYLLOUPatrouille militaire en Gambie
Patrouille militaire en Gambie - Sputnik Afrique, 1920, 16.02.2022
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La capture puis la libération ultra-médiatisée de sept soldats sénégalais du contingent militaire de la CEDEAO en Gambie ont irrité l’opinion publique et pourraient contraindre les autorités politiques sénégalaises à vouloir en finir définitivement avec un conflit vieux de plus de 40 ans.
Capturés depuis le 24 janvier 2022 en territoire gambien, sept soldats sénégalais membres du contingent militaire de la CEDEAO en Gambie (ECOMIG) ont été libérés le 14 février 2022 par Salif Sadio, chef de guerre d’Atika, une frange radicale du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), en quête d’indépendance pour le sud du Sénégal depuis plusieurs décennies. Ils ont été remis aux autorités de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest par des envoyés spéciaux du chef rebelle en présence de plusieurs facilitateurs dont le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la communauté San’t Egidio, une ONG catholique proche du Vatican.
À l’issue de violents affrontements avec des groupes rebelles, le 24 janvier, quatre autres "diambars" (surnom donné aux soldats sénégalais) avaient perdu la vie, selon la Direction de l’information et des relations publiques des armées sénégalaises (DIRPA).
Si le mouvement indépendantiste voulait donner de l’écho à l’affranchissement des soldats sénégalais, il y est sans doute parvenu. La forte médiatisation de la cérémonie, sa scénarisation dans une des multiples zones grises de la brousse gambienne et son internationalisation semblent avoir donné à Salif Sadio un nouveau répit après les offensives victorieuses de l’armée sénégalaise sur le terrain casamançais.
Assis à même le sol et entourés des "invités" de la cérémonie, les sept soldats ont la tête baissée pour la plupart. Ils assistent, silencieux, à la signature des documents du protocole de leur libération par les plénipotentiaires. Par terre, sont entassés leurs casquettes et gilets pare-balles. Tout autour d’eux, militaires de la CEDEAO et rebelles du MFDC, tous armés, sont aux aguets au milieu d’une zone broussailleuse où la végétation peut servir de refuge ou de cachette. Pour Salif Sadio, c’est presqu’un jour de gloire.
"Incontestablement, la capture des soldats sénégalais par la faction du MFDC dirigée par Salif Sadio a remis sur le devant de la scène ce chef de guerre que l’on disait en perte de vitesse. C’est surtout un petit coup d’arrêt dans la dynamique de reconquête victorieuse des bases rebelles opérée dans le Front sud contre la faction de César Atoute Badiate [un autre chef rebelle, ndlr] avec le démantèlement de poches indépendantistes très importantes. Dans la querelle de leadership qui existe dans le maquis, cette capture de soldats sénégalais et leur libération permettent à Sadio de consolider son image de chef de guerre irréductible qui réussit à tenir tête à l’armée sénégalaise", analyse le journaliste Barka Bâ, chercheur en sciences politiques et bon connaisseur de la crise casamançaise, interrogé par Sputnik.
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Invisible et insaisissable, Salif Sadio est considéré comme l’un des derniers grands seigneurs de guerre en Casamance, le verrou par lequel passerait une paix espérée définitive. Sa capacité à échapper à la traque, sa propension à se mouvoir entre les zones grises du grand corridor sénégambien et des capacités de nuisances réelles prolongent d’autant le mystère d’une "invincibilité" que d’aucuns relient à une puissance mystique.
Mais la rapidité avec laquelle il a apporté sa "bénédiction" à la libération des soldats sénégalais de l’ECOMIG serait-elle le signe d’une certaine fragilité?
"Je crois que cette +victoire diplomatique+ facilitée par le CICR, San’t Egidio, la CEDEAO et la Gambie est une victoire à la Pyrrhus. Si elle renforce son aura de chef de guerre intrépide, elle le dessert aussi au niveau de l’opinion publique où l’enlèvement des militaires sénégalais a été largement condamné. Les Sénégalais, du sud au nord et d’est en ouest, sont las d’un conflit en passe de devenir l’un des plus vieux au monde. L’irruption fulgurante d’Ousmane Sonko sur la scène politique et sa carrure de présidentiable compliquent davantage les revendications indépendantistes. Le discours du MFDC sur la marginalisation des populations du sud, vieille antienne qui a été un levier pour la mobilisation des jeunes au début de la guerre, a beaucoup de mal à prospérer", soutient Barka Bâ.

"Laver l’affront"

Les images de la cérémonie ont choqué beaucoup de Sénégalais, en particulier avec le traitement infligé aux sept soldats contraints de s’asseoir par terre et exposés aux médias autorisés à filmer ces instants. Selon des sources sécuritaires interrogées par Sputnik, l'armée sénégalaise a les moyens d’anéantir "très vite" les "éléments résiduels" de la rébellion indépendantiste. "Mais c’est une décision politique qui n’est pas du ressort du commandement militaire."
"Il est évident que la capture et l’exposition médiatique de soldats sénégalais par Salif Sadio est une pilule très dure à avaler pour l’armée sénégalaise qui a considérablement augmenté sa puissance de feu et renforcé ses capacités opérationnelles. Et c’est la deuxième fois qu’elle subit un tel affront. Il serait étonnant que le dernier coup d’éclat de Sadio reste sans conséquence pour une armée profondément touchée dans son orgueil…", s’exclame Barka Bâ, par ailleurs auteur d’un documentaire produit en 2016 et intitulé "Thomas Sankara: 28 ans après".
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Les sept militaires sénégalais, après avoir été remis aux représentants de la CEDEAO, ont été pris en charge par l’armée et devraient bénéficier du soutien psychosocial d’experts de la Grande muette. "Il y a des soldats qui absorbent mieux et plus vite que d’autres le choc potentiel d’une captivité par l’ennemi. Le meilleur travail sera fait en direction de nos frères d’armes", souligne une source sécuritaire.
Dans un communiqué rendu public, la DIRPA magnifie "l’élan de solidarité patriotique et spontanée manifesté aux Armées par les citoyens". "Les Armées restent plus que jamais déterminées à préserver l’intégrité du sanctuaire national, à poursuivre la lutte contre les trafics illicites et à participer aux initiatives régionales de maintien de la paix".
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