Jeudi 16 décembre 2021, une nouvelle que Omar Raddad n’attendait peut-être plus. La justice accepte de rouvrir ce dossier vieux de trois décennies et ordonne des investigations complémentaires, après l’introduction des nouveaux éléments présentés par la défense en juin 2021. Cette étape pourrait alors ouvrir la voie à une révision de procès, un événement rare en France, puisqu’en 75 ans, seules dix affaires ont pu être révisées.
Fruit d’un long combat, l’avocate de Omar Raddad, Me Sylvie Noachovitch, s’est réjouie de la nouvelle, assurant à Sputnik que: "C’est très lourd d’obtenir la révision d’un procès devenu définitif. Et c’est la raison pour laquelle je combats depuis 2008". Mais le chemin reste long, reconnaît l’avocate, qui ne compte pas en rester à cette première étape, face à un dossier qui représente selon elle "une aberration de A à Z".
"Un dossier à charge a été construit contre lui sans qu’il ne puisse se battre", a-t-elle expliqué à Sputnik. "Omar Raddad ne savait ni lire ni écrire le français, on lui a quand même fait signer dès sa première garde à vue des PV à charge contre lui… il n’était pas assisté d’avocat, ni de traducteur, jusqu’à son incarcération. Comment aurait-il alors pu se défendre?", se demande-t-elle.
"Des scandales judiciaires"
"Tout le long de la procédure, il y a eu des scandales judiciaires", poursuit-elle, "le corps de Mme Marchal [la victime du meurtre, ndlr]a été incinéré dès la première expertise et avant même que le dossier ne soit déposé! C’est pour ça qu’après, toutes les autres expertises n’ont pu avoir lieu que sur papier et pas avec le corps lui-même. Il y a également des pellicules photos retrouvées qui ont été détruites par les gendarmes qui ont considéré que cela n’avait que peu d’intérêt". L’avocate estime alors que les enquêteurs se sont "engouffrés" dans l’hypothèse de la culpabilité d’Omar Raddad, en s’appuyant seulement sur les désignations figurant dans la cave, sans se poser de questions.
"Quand on regarde le dossier, on s’aperçoit qu’en aucun cas, une personne dans l’état de Mme Marchal a pu écrire à deux reprises dans le noir de telles écritures en prenant soin de mettre une apostrophe… Si c’était elle, elle aurait écrit sur le sol et peut-être même que le prénom… et puis on n'a jamais vu une victime désigner sa propre mort. Tout est aberrant, le dossier est aberrant de A à Z", insiste-t-elle.
Pourtant, le docteur Olivier Pascal avait déjà découvert lors d’une expertise en 2015, de nouvelles empreintes ADN mélangées au sang de la victime, et non exploitées, grâce au progrès de la science en la matière et à une nouvelle loi en 2014. Parmi ces quatre empreintes masculines, aucune ne correspondait à celles d’Omar Raddad. L’une d’entre elles correspondait même à celles d’un homme déjà enregistré dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Mais à l’époque, la justice n’avait pas donné suite à ces nouveaux éléments. Ce n’est qu’au bout d’une nouvelle expertise menée par Laurent Breniaux en 2019 que les choses vont prendre une nouvelle tournure. En se penchant de nouveau sur les empreintes découvertes en 2015, l’expert a pu relever 35 occurrences d’un des quatre ADN masculins, sur l’inscription "Omar m’a t". La redondance de cette empreinte a permis de conclure qu’il ne s’agissait pas d’une contamination postérieure au meurtre, comme cela avait été avancé à l’époque.
S’agirait-il alors d’une machination? L’opinion française est divisée entre ceux convaincus de sa culpabilité, et ceux qui soulèvent une possible erreur judiciaire sur ce dossier. Chez certains, les origines maghrébines sont avancées comme une cause de l’obstination des enquêteurs, alors que d'autres pistes penchent vers une couverture en faveur d’un proche de la victime.
Le criminaliste Roger-Marc Moreau, qui mène une contre-enquête sur l’affaire depuis 1994, a d’ailleurs précisé dans une interview au journal Marianne que la victime était très riche, et que "les enquêteurs n’ont pas cherché à savoir qui pouvait avoir un intérêt dans ce meurtre. Personne n'a voulu enquêter sur sa famille, dont la sœur était magistrate et le beau-frère bâtonnier de Paris, un homme très influent, ami de Georges Kiejman qui était ministre à l'époque. Lors du procès, l'avocat de la partie civile était Henri Leclerc, qui était membre de la Ligue des droits de l'homme (LDH). Il a fait pression de tout son poids avec la caution de la LDH."
En attendant la prochaine étape, Omar Raddad est déjà "heureux" de cette nouvelle, informe son avocate. Mais il serait aussi fragilisé: "Sa vie est suspendue à cette révision, il est dépressif, d’ailleurs il a une carte handicapé compte tenu de cela […], il a 59 ans aujourd’hui." Un nouveau procès ne réparera pas toutes les souffrances qu’il a vécues, ajoute-t-elle,"mais il faut arriver à l’innocenter pour qu’il sache au moins ce que c’est de vivre", conclut l’avocate, qui assure vouloir se battre jusqu’à la révision du dossier d’Omar Raddad.
L’affaire Omar Raddad a fait couler beaucoup d’encre en France, comme au Maroc, pays d’origine de l’ex-jardinier, inculpé il y a 27 ans pour le meurtre de son employeur, Ghislaine Marchal dans le sous-sol de sa villa dans le sud-est de la France. Les enquêteurs s’étaient alors basés sur les inscriptions en lettres de sang "Omar m’a tuer" et "Omar m’a t" sur la porte de la cave, pour l’arrêter. Partiellement gracié sur intervention de l’ancien roi marocain Hassan II auprès de l’ex-Président Jacques Chirac, il a finalement purgé sept ans de prison au lieu des 18 années prévues, sans pour autant être blanchi. Depuis, Omar Raddad rêve d’une révision de procès qui permettra de l’innocenter.