Maroc-Allemagne: les raisons d’une "main tendue"

© AFP 2023 FADEL SENNANasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain
Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain - Sputnik Afrique, 1920, 17.12.2021
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Après plusieurs mois de brouille diplomatique, l’Allemagne multiplie récemment les signes d’une volonté de rapprochement avec Rabat. Serait-ce enfin le calme après la tempête? Comment expliquer ce revirement de situation? Analyse.
Après des mois d’échanges tendus et très limités, la nouvelle diplomatie allemande multiplie les sorties qui s’apparentent à une main tendue envers le Maroc. Dans un communiqué daté du 13 décembre, le ministère fédéral des Affaires étrangères évoque le royaume comme "un partenaire essentiel" et "un trait d'union entre le Nord et le Sud". Cette sortie vient s’ajouter au récent post de l’ambassade à Rabat, concernant un rapport faussement attribué aux renseignements allemands. Accablant le Maroc, le rapport d’Isabel Werenfels, avait donné naissance au hashtag #germany_attacks_morocco, laissant présager un point de non-retour entre les deux pays, en parallèle d’une visite "polémique" d’un diplomate allemand dans l’enclave espagnole de Melilla.
"L'Allemagne prétend soutenir la démocratie et contribuer à la croissance des pays, pendant ce temps, elle travaille contre le progrès économique du Maroc, affirmant que les pays d'Afrique du Nord doivent tous rester égaux et les moins développés".
"La campagne de diffamation contre Isabel Werenfels est non seulement une menace pour sa personne mais aussi une attaque contre la recherche indépendante axée sur la politique."
Mais rapidement, l’ambassade a clarifié l’origine suisse de la chercheuse et sa non-affiliation aux services de renseignements, avant d’émettre un premier signal de sa volonté de rapprochement: "Le Royaume du Maroc est un partenaire essentiel pour l'Allemagne. Du point de vue du gouvernement fédéral, il est dans l'intérêt des deux pays de revenir à des relations diplomatiques traditionnellement bonnes et élargies. L'Allemagne est prête pour un partenariat tout aussi tourné vers l'avenir, basé sur la réciprocité".
Le nouveau gouvernement allemand souhaiterait-il alors rectifier le tir après ce qui a été interprété à Rabat comme des "faux pas" successifs envers le Maroc? Pour Mohamed Badine el Yattioui, professeur de relations internationales à l’université américaine des Émirats à Dubaï, "il faut rester méfiant et garder les pieds sur terre".
Rabat - Sputnik Afrique, 1920, 17.12.2021
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Ce dernier geste s’expliquerait selon lui, par plusieurs raisons, dont les intérêts de l’Allemagne au Maghreb et en Afrique. "L’Allemagne a besoin du Maroc pour la mise en place de sa diplomatie économique amorcée par Angela Merkel et qui a très bien fonctionné dans différentes parties du monde." La diplomatie économique allemande est encore très limitée sur le continent africain, face à celle de son adversaire français, explique le professeur. L’objectif de l’Allemagne serait alors "de se positionner sur le continent, notamment en Afrique de l’Ouest… et sa porte d’entrée est le Maroc".
Qui dit apaisement, dit également dossier du Sahara occidental, principal point de divergence entre les deux pays dont les relations diplomatiques sont en crise depuis le mois de mars. Il y a quelques jours, le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita avait appelé à des relations basées sur "la clarté et la réciprocité" et à des efforts de la part des Allemands. Message visiblement bien reçu par Berlin, qui réitère son soutien à l’Envoyé personnel du secrétaire général de l’Onu "dans ses efforts pour une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable sur la base de la résolution 2602"et qui souligne "l’importante contribution à un tel accord" du plan d’autonomie marocain. Un signal peut-être positif, mais une sortie encore ambiguë selon les observateurs marocains, confus quant à "la position inchangée du gouvernement fédéral […] depuis des décennies" évoquée dans ce même communiqué.
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Une coopération au "point mort"

Par ailleurs, l’urgence de la réconciliation pourrait également se justifier par une coopération bilatérale paralysée sur plusieurs volets. D’abord, d’un point de vue sécuritaire, où elle serait au point mort selon le patron du Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ) marocain. Pour Mohamed Badine El Yattioui, il s’agit pourtant d’une question très importante: "Il faut rappeler qu’en 2016 une convention de coopération vitale pour les deux pays a commencé à être mise en œuvre, avant d’être paralysée par ces tensions…".
Autre volet affecté, celui de la coopération au développement. Les tensions entre les deux pays avaient conduit à la suspension par les départements ministériels marocains "de tout contact, interaction ou action [...] aussi bien avec l'ambassade d'Allemagne au Maroc qu'avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés".
Un impact considérable pour des organismes comme la GIZ qui porte des dizaines de projets au Maroc pour une valeur d’implémentation de plusieurs millions d’euros. Même son de cloche pour les fondations allemandes, qui sont d’ailleurs très critiquées dans le royaume.
"Beaucoup considéraient qu’elles nuisaient à la stabilité du pays en infiltrant la société civile, recueillant des informations contre les intérêts du Maroc, et en appuyant certaines personnes contre le régime", explique Mohamed Badine El Yattioui.
Mais le sort de ces dernières, chacune rattachée à un parti politique, reste inconnu selon l’intervenant de Sputnik.
"Si elles travaillent sur des thématiques telles que la gouvernance, la transition énergétique […] tout ira bien. Mais si les renseignements marocains réalisent de nouveau qu’elles cherchent à déstabiliser le pays en soutenant des opposants ou en recueillant des données sensibles, cela pourrait de nouveau causer un problème pour les relations bilatérales", conclut-il.
Pour rappel, le Maroc avait suspendu ses contacts avec l’ambassade allemande au Maroc au mois de mars avant de rappeler son ambassadeur à Berlin pour consultation au mois de mai.
Parmi les raisons motivant cette décision, la multiplication d’actes que Rabat a jugés "hostiles", notamment sur la question du Sahara occidental, la complicité allemande "à l’égard d’un ex-condamné" pour des actes terroristes, et les tentatives de Berlin "d’écarter" le pays hôte des accords de Skhirat, des rencontres régionales sur la Libye.
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