"Il va falloir que nous arrêtions de nous mettre la tête dans le sable: le bilinguisme au Canada n’existe pas!" s’insurge en entrevue Stéphane Handfield. Avocat spécialisé en immigration, il dénonce le fait que de moins en moins d’étudiants francophones sont admis par le ministère fédéral de l’Immigration pour suivre leurs études universitaires au pays de l’érable.
"Ce n’est pas la première fois que je vois une telle situation. Ça semble une situation récurrente. On parle d’étudiants francophones qui ont été admis par une université, mais qui se voient ensuite bloquer l’accès au Canada par le ministère de l’Immigration. […] C’est injuste et incohérent pour un pays où le français est censé être l’une des deux langues officielles", tacle l’avocat à notre micro.
Le 19 novembre dernier, le journal québécois Le Devoir a en effet révélé que le nombre d’étudiants anglophones admis au Canada était sans commune mesure avec les effectifs de francophones accueillis.
Études au Canada: les anglophones avant les Africains francophones
Selon les données fournies à ce quotidien par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (le ministère de l’Immigration), les étudiants francophones en provenance d’Afrique sont particulièrement désavantagés dans le processus de sélection.Par exemple, en 2020 et 2021, plus de 80% des demandes soumises depuis l’Algérie, le Sénégal et le Cameroun ont été refusées.
Stéphane Handfield y voit la preuve supplémentaire d’un manque de considération pour "la survie de la langue française" au Canada de la part du gouvernement fédéral, dans un contexte où le français recule au profit de l’anglais, selon diverses études:
"Pour obtenir leur permis d’études, les étudiants francophones sont passablement désavantagés d’après les données consultables. […] C’est une disproportion importante qui se justifie difficilement. […] C’est un triste constat", tranche l’avocat.
Pour déterminer si le ministère de l’Immigration applique une politique "discriminatoire" envers les francophones, il faudrait analyser tous les dossiers des étudiants rejetés et acceptés, souligne Stéphane Handfield, mais "on peut déjà se poser de sérieuses questions"sur la manière dont les dossiers sont évalués.
Un motif de refus "qui ne tient pas la route"
Entre janvier 2020 et septembre 2021, le ministère de l’Immigration a rejeté la candidature de plus de 35.500 personnes vivant dans un pays du Maghreb ou de l’Afrique de l’Ouest, lesquelles souhaitaient poursuivre leurs études dans une université au Québec. Durant la même période, le nombre d’étudiants indiens admis dans cette province de langue française a "atteint des sommets", suivant les termes mêmes employés par Le Devoir.
Parmi les motifs les plus courants invoqués par le ministère pour justifier le rejet de la candidature de futurs étudiants africains: l’incertitude que ces derniers quittent bien le territoire canadien après avoir complété leur formation. Pour Stéphane Handfield, cet argument du ministère "ne tient pas la route", car des anglophones admis viennent de pays comme l’Inde, où de nombreuses demandes d’asile sont aussi adressées chaque année au gouvernement canadien:
"Si on nous dit que les pays francophones regorgent de gens qui ne voudraient pas quitter le pays après leurs études, il faudrait voir aussi du côté des pays anglophones. […] Si on regarde les statistiques, on peut constater que l’Inde reste un pays qui produit une émigration importante", précise-t-il.
Ce développement survient alors que des universités au Canada anglais éprouvent de la difficulté à attirer et à retenir des étudiants francophones, et particulièrement en Ontario, province la plus peuplée de la fédération.
Des universités peinent pourtant à recruter des étudiants francophones
Le 7 septembre dernier, l’université de l’Ontario français –la première université de langue française dans la province–, ouvrait officiellement ses portes après une polémique sur son faible taux d’inscriptions. La nouvelle institution n’accueille actuellement qu’une centaine d’étudiants pour son premier semestre.
En avril 2021, aux prises avec de graves problèmes de financement et de recrutement d’étudiants, l’Université laurentienne, située dans le nord-est de l’Ontario, a éliminé soixante-neuf programmes, dont vingt-huit en français. La nouvelle avait créé une onde de choc. Le mois suivant, l’université de Sudbury –un établissement bilingue situé dans la même région– a annoncé son intention de devenir entièrement francophone pour répondre à la demande créée par les coupures à l’Université laurentienne, mais elle n’a pas accueilli d’élèves à la dernière rentrée et se trouve toujours en attente de financement.
Alors a-t-on affaire à un bilinguisme de façade appelé à se fissurer de plus en plus sous les coups du réel?
Alors a-t-on affaire à un bilinguisme de façade appelé à se fissurer de plus en plus sous les coups du réel?