Dans la province la plus peuplée du Canada, l’Ontario, c’est la consternation dans la communauté francophone et chez de nombreux francophiles. La cause de cet émoi: le faible nombre d’inscriptions recueillies par une université entièrement francophone qui ouvrira ses portes à la prochaine rentrée.
Le symbole d’une mobilisation historique
Les médias ont révélé que seulement une quarantaine de dossiers d’admission étaient parvenus aux responsables de l’université de l’Ontario français. Ce projet est devenu le symbole d’une question de survie linguistique. Le recteur de la toute nouvelle institution, André Roy, qui vient cependant de démissionner, avait fixé comme objectif le recrutement de 200 étudiants pour la première rentrée de septembre 2021.
La nouvelle ne décourage toutefois en rien le gouvernement ontarien, principal partenaire du projet, qui avait été fortement critiqué en 2018 pour avoir suspendu le projet. À l’époque, l’instance provinciale avait annoncé qu’elle abolissait aussi le Commissariat aux services en français, lequel a été en partie rétabli depuis.
Pour protester contre ces décisions, les Franco-Ontariens ont organisé la plus grande manifestation de leur histoire le 1er décembre 2018. Ils étaient 14.000 à défiler. Les mois suivants, ils ont maintenu la pression sur le gouvernement de Doug Ford, Premier ministre de la province.
«Notre gouvernement est fier d'avoir conclu un accord historique avec le gouvernement fédéral pour la création de l'université de l'Ontario français, dans le cadre duquel chaque palier de gouvernement investira, à parts égales, 63 millions de dollars sur une durée de huit ans», a réagi Queen's Park (siège de l’Assemblée législative de l’Ontario) à la mauvaise nouvelle.
Carol Jolin préside l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, le plus grand organisme représentant cette communauté. Il se veut toutefois rassurant au micro de Sputnik. À ses yeux, il est beaucoup trop tôt pour conclure à l’échec du projet:
«En raison de la pandémie et de certaines difficultés techniques, ça ne fait même pas quatre mois que l’équipe s’emploie à recruter et à faire la promotion des programmes de l’université. Les autres établissements étaient partis avec six ou sept mois d’avance. […] Il faut laisser la chance au coureur», confie-t-il.
Après l’annonce du manque d’inscriptions, des gens qui avaient suivi de près l’évolution du projet ont remis en question son existence même sous la forme actuelle. C’est notamment le cas de François Charbonneau, professeur de science politique à l’université d’Ottawa.
«Une erreur historique», disent certains
Pour l’enseignant, le nombre d’inscriptions prouve que le choix d’implanter cette université à Toronto est une «erreur historique». Selon lui, il eût été préférable scinder en deux l’université d’Ottawa, institution bilingue dans la capitale fédérale.
Ayant enseigné trente ans à l’université d’Ottawa, Joseph Yvon Thériault est aussi d’avis qu’il aurait mieux valu ne pas créer une «institution ex nihilo». Plusieurs fois par le passé, le sociologue s’est prononcé sur des enjeux touchant la communauté franco-ontarienne.
«La création d’une université entièrement francophone en Ontario ne pouvait pas se faire sans un réaménagement ou une restructuration de l’université d’Ottawa. […] L’université de l’Ontario français se retrouve à concurrencer plusieurs institutions qui offrent des programmes en français et que les Franco-Ontariens fréquentent déjà», souligne le sociologue.
Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario prend acte de ce point de vue. Mais il persiste et signe.
L’immigration, avenir de la francophonie en Ontario?
Carol Jolin considère que le choix d’implanter l’université à Toronto était judicieux, surtout si l’on tient compte des projections démographiques liées à l’immigration francophone dans la métropole.
«Depuis une bonne dizaine d’années, de plus en plus d’écoles primaires et secondaires bilingues et d’immersion française ouvrent à Toronto. Cette ville est une plateforme internationale. La francophonie est plurielle. D’ici à quelques années, ce ne sera pas l’est de la province qui abritera plus grand nombre de francophones, mais le grand Toronto», assure Carol Jolin.
Destination UOF 2021 : La diversité humaine est au cœur du tout nouveau programme de baccalauréat spécialisé en études de la pluralité humaine https://t.co/PD8ecfaKjN#PluralitéHumaine#LeMoisDeLHistoireDesNoirs pic.twitter.com/DMfAXxabua
— Université de l’Ontario français (@universiteON) February 1, 2021
Selon Joseph Yvon Thériault, les promoteurs de l’université de l’Ontario français commettent l’erreur de jouer la carte du «futurisme»:
«Ce n’est pas le projet d’une communauté enracinée. Pour la plupart issus de l’immigration, les francophones de Toronto ne sont pas une communauté, mais des individus. Ils n’éprouvent pas encore le sentiment de faire société. […] Au lieu de s’appuyer sur ce qui était déjà là, on essaie de créer une université qui répond à des besoins postmodernes assez abstraits. Les programmes composites illustrent aussi cette mentalité fonctionnaire», estime le professeur retraité.
Depuis la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1759, les francophones du Canada luttent pour leur survie culturelle. En 1613, l'explorateur français Samuel de Champlain avait déjà parcouru et cartographié certaines parties du territoire actuel de l’Ontario. Formant une communauté de 750.000 personnes, les Franco-Ontariens prennent donc leur part dans un combat multiséculaire.