Les raisons qui ont provoqué, lundi 1er novembre, l’attaque de trois civils algériens à bord de leurs camions dans le territoire du Sahara occidental administré par le Front Polisario restent encore inconnues. Contacté par Sputnik, le professeur de droit constitutionnel à l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle Carlos Ruiz Miguel avance l’hypothèse d’un incident qui viserait "à impliquer l’Algérie dans le conflit du Sahara occidental". "Cette implication, le Maroc l’a toujours souhaitée et encouragée. Cette provocation brutale, vise peut-être à provoquer une réponse militaire de la part de l’Algérie".
"Il y a d’autres hypothèses qui pourraient expliquer cet acte d’une extrême gravité. Certaines disent que c’est une erreur de la part de l’armée marocaine, d’autres disent que ce sont des Israéliens qui pilotaient ces drones et qu’ils sont donc responsables de cette attaque. En tout cas, c’est une situation extrêmement grave car c’est une action qui a ciblé des civils. Du point de vue du droit international humanitaire, c’est une action qui est tout à fait illégale et criminelle. L’Algérie est dans son droit de demander une enquête pour déterminer les responsabilités dans cet acte".
Jeudi 4 novembre, Alger a une nouvelle fois réagi au raid aérien qui a coûté la vie à trois routiers. Le ministère des Affaires étrangères a rendu public un communiqué dans lequel il annonce la saisine officielle, au sujet de cette affaire, "du Secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres, du Président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat, du Secrétaire général de la Ligue des États arabes Ahmed Aboul Gheit, et du Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique Youssef ben Ahmed al-Othaimeen".
"L’emploi par l’État occupant [le Maroc, ndlr] d’un armement sophistiqué meurtrier pour entraver la libre circulation de véhicules commerciaux dans un espace territorial sur lequel il n’a aucun droit, constitue un acte de fuite en avant porteur de risques imminents pour la sécurité et la stabilité au Sahara Occidental et dans toute la région", est-il affirmé dans ce communiqué.
"Terrorisme d’État"
Le ministère algérien des Affaires étrangères a également dénoncé "la gravité extrême de l’acte de terrorisme d’État en question qu’aucune circonstance ne saurait justifier" et fait état de consultations "d’ambassadeurs accrédités auprès de l’Algérie". Alger semble avoir opté pour un début de processus diplomatique qui pourrait aboutir à une réponse adaptée à cet acte jugé "hostile". La veille, les services de la Présidence ont réagi à la mort des trois routiers qui étaient de retour de Mauritanie où ils avaient livré des matériaux de construction. "L'Algérie sait bien ce que coûtent les guerres, car elle compte des millions de chouhada [martyrs, ndlr]. Nous sommes un peuple résistant qui ne cherche pas la guerre, mais plutôt la paix. Cependant, celui qui cherche la guerre... Celui qui nous agressera, le regrettera amèrement".
De son côté, le Maroc a réagi jeudi 4 novembre à cette affaire par la voix de Mustapha Baitas, le porte-parole du gouvernement marocain. "Je confirme que le Maroc s’en tient au strict respect du principe de bon voisinage avec tous [ses voisins, ndlr]", a-t-il signifié lors d’une conférence de presse. La veille, une "source" anonyme avait déclaré à l’AFP que "le Maroc ne sera[it] jamais entraîné dans une spirale de violence et de déstabilisation régionale".
"Si l'Algérie souhaite entraîner la région dans la guerre, à coups de provocations et de menaces, le Maroc ne suivra pas. Le Maroc n'a jamais ciblé et ne ciblera jamais des citoyens algériens, quelles que soient les circonstances et les provocations ", a précisé cette source.
Une autre source marocaine reprise par la chaîne saoudienne Al-Arabiya a indiqué que la mort des camionneurs était due à "une mine". Vendredi 5 novembre, Menadéfense, le site spécialisé dans les questions de défense et de sécurité qui avait été le premier à révéler la mort des routiers au Sahara occidental, a estimé que la piste d’un missile tiré par un drone se précisait. Menadéfense a publié la vidéo d’un drone de combat Bayraktar TB2 filmé dans la région de Smara, ville où sont situées plusieurs bases des forces armées marocaines.
Rapport de terrain et données satellite
Carlos Ruiz Miguel considère que l’Algérie peut exiger de la " Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso, mission du maintien de la paix dans ce territoire non-autonome) de faire un rapport de terrain pour déterminer les responsabilité dans cette affaire".
"La Minurso est chargée du suivi de la situation du cessez-le-feu. Je pense que c’est tout à fait pertinent de la part de l’Algérie d’exiger un tel rapport. Bien sûr, l’Algérie peut obtenir des informations précises en s’appuyant sur d’autres sources pour savoir comment cet événement s’est produit. Elle peut notamment obtenir des renseignements à travers des données satellite, en collaboration avec la Russie par exemple. Il est vrai qu’un rapport d’une mission officielle des Nations unies renforcerait la position de l’Algérie et son récit des événements", explique Carlos Ruiz Miguel à Sputnik.
Le professeur en droit constitutionnel, qui dirige également le directeur du Centre d’étude sur le Sahara occidental (CESO), rappelle que le personnel militaire de la Minurso est compétent pour dire si les camions ont été la cible d’un missile tiré par un drone ou alors s’ils ont explosé sur une mine, comme l’affirme la partie marocaine.