Ministre tchadien: "Notre crainte est que les terroristes exploitent" ces conflits communautaires

Les conflits intercommunautaires font rage au Tchad. Au moins 27 personnes ont été tuées depuis le 19 septembre dans l’est du pays dans des affrontements. La récurrence de ces combats dans un contexte sociopolitique tendu fait craindre le pire, à commencer par la prolifération du terrorisme.
Sputnik
Déjà sérieusement secoué par une crise sociopolitique, le Tchad doit encore faire face aux interminables conflits intercommunautaires qui menacent depuis longtemps sa cohésion nationale. Il s'agit de foyers de tension qui représentent un risque potentiel dans un contexte sécuritaire déjà fragile, avertit Acheikh ibn Oumar, ministre d'État en charge de la réconciliation nationale et du dialogue dans le gouvernement de transition, dans un entretien à Sputnik: "le plus gros risque de ces conflits intercommunautaires, c'est que les groupes terroristes présents tout le long des frontières arrivent à exploiter ces combats".
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"S’il est vrai que l’on n’a pas un terrorisme domestique au Tchad, la vraie inquiétude est que les terroristes et les groupes armés dans la région instrumentalisent ces conflits, et les transforment en violents affrontements pour d’autres desseins. Ce qui aurait des conséquences beaucoup plus graves, mais Dieu merci, on n’en est pas encore là", rassure l’ancien conseiller du Président Idriss Déby Itno, décédé le 20 avril dernier.

Le 19 septembre, des affrontements ont éclaté et se sont poursuivis jusqu’à ce début de semaine, entre des cultivateurs et éleveurs nomades dans l’est du Tchad, faisant au moins 27 morts, selon les autorités. Au centre des discordes, des terres vendues par les chefs traditionnels de la localité aux nomades arabes, que les cultivateurs autochtones ne souhaitent pas voir s’établir sur leur terroir. S’exprimant sur ce dernier conflit dans une sortie sur sa page Facebook, Mahamat Ahmat Alhabo, ministre de la Justice, souligne que les deux communautés se disputent "une superficie de 25 km2" et se désolent de la récurrence de ces conflits.

"Les conflits fonciers continuent à tuer. Pour des lopins de terre, les Tchadiens s'entretuent", a-t-il écrit le 21 septembre.

Acheikh ibn Oumar confirme que ces conflits n’ont "rien de politique".

"Dans la plupart des cas, ce sont des civils, dans les zones rurales, qui se battent pour le partage des ressources ou dans des litiges fonciers. C'est un phénomène qui est dû à la rareté des ressources [économiques, accès à l’eau, aux services, aux aides humanitaires, à la terre, ndlr] à cause de l'accroissement des populations. La rareté des ressources naturelles, notamment les pâturages et l'eau [provoquée par les catastrophes naturelles, ndlr], est très souvent source de tensions entre éleveurs et agriculteurs", commente le ministre d’État.

Des faits tragiques et récurrents

Il s'agit bien de conflits récurrents. Vers la mi-avril 2021, par exemple, des affrontements meurtriers avaient fait une centaine de morts dans les villages de Sihep et d'Ambarit dans le sud-est du Tchad. Le 16 février dernier, plus de 35 personnes avaient été tuées dans la sous-préfecture de Mouraye, dans le sud du pays.
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Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), en juillet 2021, évoquait déjà un bilan s'élevant à plus de 300 morts et 182 blessés, plus de 6.500 personnes déplacées, sans compter la destruction de biens et de moyens de subsistance.
Acheikh ibn Oumar précise que "les pertes en vie humaine de ce type de conflit ont été surtout aggravées par la prolifération des armes au niveau des provinces frontalières avec des pays voisins en crise comme la Centrafrique ou le Darfour soudanais".
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"Une prolifération des armes de gros calibres amplifiée après l'effondrement du régime du colonel Kadhafi en Libye qui fait que le moindre conflit banal dans la région peut provoquer des dégâts impressionnants", observe le ministre d’État.

Dans un pays déjà divisé par de nombreuses crises internes, dirigée par une junte militaire et dont la stabilité ne tient que sur un fil depuis la mort d'Idriss Déby Itno, la moindre étincelle peut embraser toute la nation. Pour le moment, poursuit le ministre d’État chargé de la Réconciliation nationale et du Dialogue, "grâce à des mécanismes populaires, traditionnels, et administratifs, nous essayons de faire dialoguer les communautés et de limiter les dégâts […] Cependant, pour ce qui est de la circulation des armes dans le pays, tant qu'il n'y a pas de stabilité en Libye, ce sera toujours une source d'exportation d'armes et aussi un sanctuaire pour tous les groupes incontrôlés, des trafiquants, et autres. Nous pouvons essayer de mieux contrôler nos frontières, mais ce n’est pas une mince affaire".
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