Violences interethniques au Sahel, quelles solutions?

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Des centaines de morts et des milliers de déplacés au Mali ces six derniers mois. Pour enrayer l'escalade de violences interethniques que connait le Mali des solutions endogènes doivent être mises en place, selon Bakary Sambe, chercheur sénégalais.

Tandis que le centre du Mali continue d’être endeuillé par des massacres intercommunautaires entre Peuls et Dogons, le Président du Niger Mahamadou Issoufou a demandé vendredi 5 juillet à Niamey, la formation d’une coalition internationale dans le Sahel, reconnaissant que son pays qui fait partie du G5 Sahel «est de plus en plus affecté par des attaques terroristes», a-t-il déclaré dans un entretien exclusif accordé à France 24 et RFI

Le Président du Niger a fait ces déclarations à la veille de l’ouverture du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) sur le libre-échange. Considérée comme une étape historique dans le cadre des projets phares du premier plan décennal de l’agenda 2063 de l’UA, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlec) a officiellement été lancée, mais n’entrera en vigueur qu’au 1er juillet 2020. Concernant la situation de crise qui prévaut au Sahel, il a profité de la présence de 32 chefs d’État et de gouvernement pour proposer la formation d’une coalition internationale afin de lutter contre le terrorisme au Sahel «comme celle qui a vaincu Daech en Irak et en Syrie».

© Sputnik . Sputnikle Docteur Bakary Sambe est directeur de l’Institut Timbuktu basé à Dakar
Violences interethniques au Sahel, quelles solutions?  - Sputnik Afrique
le Docteur Bakary Sambe est directeur de l’Institut Timbuktu basé à Dakar

Spécialiste des extrémismes violents, le Docteur Bakary Sambe est directeur de l’Institut Timbuktu basé à Dakar, mais travaillant dans l’ensemble des pays du Sahel. Il est également le fondateur, en 2012, de l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux en Afrique (ORCRA) et professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal.

Commentant la situation qui prévaut, actuellement au Sahel et, notamment dans le Centre du Mali, un pays qui a longtemps été l’épicentre du djihadisme dans cette région, il estime que l’on est en train d’assister à un transfert de la violence au niveau local de la part des groupes extrémistes avec une «instrumentalisation des tensions réelles ou virtuelles qui existaient au préalable, notamment les conflits traditionnels entre éleveurs peuls et agriculteurs Dogons.»

Pour lui, la thèse des leaders de Daech* prônant un habillage religieux islamique «sur tous les conflits, y compris locaux, sans besoin d’une coordination d’envergure ou d’un déploiement logistique pour atteindre des cibles à l’étranger, mais en vue d’assurer un recrutement local permanent parmi les jeunes», est en train de se réaliser sous nos yeux:

«Dans le cas spécifique du Mali, cela est dû avant tout aux défaillances de la gouvernance politique et sécuritaire de l’État malien. Au départ, le Front de libération du Massina d’Amadou Kouffa était un mouvement identitaire. Se plaignant du vol récurant de bétail, il a fini par aller se former au maniement des armes chez Aqmi», affirme le Dr Bakary Sembé au micro de Sputnik France.

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«Du fait de son incapacité à assurer la sécurité au centre du pays, l’État malien a délégué le maintien de l’ordre à des milices bozos (proches des Dogons, ndlr), notamment. C’est comme cela que la traque contre les djihadistes s’est peu à peu transformée en une traque contre les bergers peuls avec tous les glissements de sens et dans les faits que l’on peut déplorer depuis le début de l’année 2019 où l’on assiste à une escalade de la violence jamais vue jusqu’alors avec des tueries organisées des deux côtés», déplore-t-il.

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Cette incapacité de l’État malien, — faute de moyens suffisants en hommes et en matériel—, à faire la police sur son propre territoire est la porte ouverte à tous les abus. Que ce soit au nord du fait de la présence de groupes terroristes ouvertement affiliés à Aqmi ou bien au centre avec des groupes extrémistes formés localement, les besoins humanitaires n’ont jamais été aussi «aigus et urgents» et «nécessitent une intervention d’urgence», selon Mme Mbaranga Gasarabwé, coordonnatrice humanitaire pour le Mali de l’agence onusienne OCHA qui coordonne l’action sur le terrain en faveur des populations dites vulnérables.

Selon les chiffres communiqués par OCHA le 1er juillet dernier, les violences liées aux conflits ont atteint un niveau de sévérité jamais égalé dans le centre du Mali et font payer un très lourd tribut aux enfants, aux femmes et aux hommes affectés. «Plus de 600 civils ont été tués depuis le début de l’année dans les attaques perpétrées principalement dans la région de Mopti», précise un communiqué. Le nombre de personnes déplacées internes fuyant ces violences a «quasiment quadruplé dans les régions de Mopti et de Ségou entre mai 2018 et mai 2019 passant de 18 000 à 70 000 ce qui représente 58% du nombre total de personnes déplacées internes dans le pays estimé à environ 120 000».

Si le constat d’urgence des organisations humanitaires est unanime, il ne faut pas, selon le Dr Bakary Sambe, tomber dans des conclusions hâtives et penser qu’il y aurait une volonté délibérée de certains groupes ethniques traditionnellement sédentaires à vouloir s’en prendre à la communauté peule exclusivement:

«Beaucoup d’autres facteurs comme la raréfaction des terres, de l’eau ou le changement climatique expliquent que ces tensions interethniques, qui sont ancestral entre éleveurs et agriculteurs, soient aujourd’hui exacerbées. Elles se sont déjà produites dans d’autres pays que le Mali, comme en Mauritanie, où l’on avait failli avoir une guerre avec le Sénégal et elles existent aussi en Guinée ou encore au Nigéria voire dans de nombreux autres pays d’Afrique comme le Rwanda», commente le Dr Bakary Sambe au micro de Sputnik France.

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Pour que des situations d’extrême tension, comme le Mali en connaît actuellement, ne dégénèrent pas en guerre larvée, il préconise une plus grande implication de groupements de femmes dont la tâche serait de veiller à la réconciliation entre groupes ethniques en conflit ou bien des jeunes. Il se dit, toutefois, rassuré au vu des déclarations et prises de position qui ont été faites à Bamako par de jeunes Dogons et des jeunes Peuls qui ont manifesté côte à côte après le massacre d’ Ogossagou en mars dernier. Avec plus de 150 victimes et de très nombreux blessés parmi les femmes et les enfants, il s’agit du conflit le plus meurtrier à ce jour dans l’histoire récente du Mali.

L’institut Timbuktu a également été chargé de mener à bien un projet sur la «résilience communautaire» dans les zones frontalières du G5 Sahel qui compte parmi ses États membres en plus du Mali, et du Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad. Concernant le Mali, là encore, le Dr Bakary Sambe se veut plus exhaustif dans son approche du conflit dans ce grand pays sahélien qui n’arrive pas à se relever malgré les efforts déployés par la communauté internationale depuis de nombreuses années:

«La communauté internationale a fait l’erreur pendant longtemps d’apporter une réponse exclusivement sécuritaire à une situation sur le terrain qui est très complexe et très intriqué. C’est pourquoi je préconise de favoriser des recherches de solutions locales pour la résolution des conflits locaux qui doivent être résolus localement. Les mécanismes ancestraux de résolution des conflits existent, mais ils ont été brimés. Il faut donc leur redonner la possibilité de s’exprimer à nouveau que ce soit par l’intermédiaire des élites religieuses ou des chefferies locales», martèle-t-il au micro de Sputnik France.

Même s’il ne nie pas le rôle de la force Barkhane, pour contenir les djihadistes ni celui de la MINUSMA pour assister les populations, l’important, pour lui, est que la communauté internationale accepte à son tour de faire un «changement de paradigme» dans le Sahel. C’est-à-dire qu’elle cesse de confondre, «lutte contre le terrorisme» qui vise à éliminer des cibles précises et «lutte contre les extrémismes» qui demandent des stratégies à long terme. C’est dans le deuxième cas qu’il faut, selon lui, «laisser faire les populations» et, notamment, les femmes pour mettre en place des solutions endogènes, seules susceptibles de durer. Et non pas privilégier toujours et partout des solutions militaires qui ne durent pas!

*Organisation terroriste interdite en Russie

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