Sale temps pour les religieux dans la violente crise séparatiste qui secoue les régions anglophones du Cameroun! Mgr Julius Agbortoko, vicaire général de la paroisse de Mamfe, dans le sud-ouest séparatiste du Cameroun, a été enlevé dimanche 29 août avant d’être libéré trois jours après par «de jeunes gens qui se sont identifiés comme des combattants séparatistes», qui réclamaient une rançon de 20 millions de francs CFA (environ 30.000 euros).
«Après trois jours de captivité, nous sommes heureux d'annoncer que notre frère, prêtre, Mgr Julius Agbortoko, a été libéré sans qu'aucune rançon ne soit payée», a écrit le diocèse de Mamfe dans ce communiqué.
Toutefois dans son communiqué, le diocèse ne donne aucune indication sur les raisons pour lesquelles les ravisseurs ont finalement libéré le prélat sans le paiement d'une quelconque rançon.
L’Église prise aux pièges des violences
Depuis plus de quatre ans, les régions du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun sont en proie à une violente crise séparatiste. Dans cette bataille qui s’enlise au fil du temps, l’Église (catholique ou protestante) a souvent fait les frais d’exactions, pour proximité supposée avec un camp ou l’autre des belligérants. Dernière illustration en date, une fusillade dimanche 22 août dans une église presbytérienne de la localité de Bali (région du nord-ouest séparatiste). Un groupe armé a fait irruption en pleine célébration du culte avant d’ouvrir le feu sur les fidèles. Le bilan, selon les sources locales, est d’un mort et de nombreux blessés parmi lesquels le pasteur.
En 2018, de nombreux prêtres ont été enlevés et au moins trois ont été tués. Il s'agit du père Alexandre Sob Nougi, assassiné le 20 juillet 2018 à Buea, dans le sud-ouest; de Gérard Anjiangwe, séminariste du diocèse de Bamenda, dans le nord-ouest, le 4 octobre de la même année. En novembre, un missionnaire kényan a trouvé la mort à Mamfe.
Le cardinal Christian Tumi, le défunt archevêque émérite de Douala -initiateur de la conférence générale des anglophones, rencontre qui devait servir à débattre des solutions pour faire cesser la crise- avait lui aussi été enlevé à deux reprises: d’abord en novembre 2020, ensuite fin janvier 2021. Pour son ancien proche collaborateur et actuel porte-parole de la Conférence générale des anglophones, ces actes ne doivent pas détourner l’Église de sa mission.
«Les catholiques appliquent une doctrine sociale de l'église, consistant à être proche de la population et dire la vérité (...) Avant sa mort, le cardinal Tumi a mené beaucoup d'opérations dans ces régions pour apaiser les tensions. Ce qui a marché dans certains cas (...) L'Église doit toujours tenir son rôle de moralisateur: ne pas être partisane et dire la vérité en toutes circonstances», insiste-t-il au micro de Sputnik.
Grand banditisme
Dans cette partie du Cameroun où vit la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux camps. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en février 2021, ce conflit a déjà fait plus de 3.500 morts (civils et militaires) et poussé plus de 700.000 personnes à abandonner leur foyer. Des milliers d’hommes et de femmes ont besoin d’assistance. Outre les personnalités religieuses, les populations des deux régions en crise font face à une industrie du rapt. Élèves, fonctionnaires, chefs traditionnels et autres hommes d’affaires sont très souvent enlevés en échange d’argent. Ce qui, de l’avis d’Élie Smith, dilue la cause séparatiste.
«Le mouvement n'est plus axé sur des revendications idéologiques, il est devenu un terreau fertile du pur banditisme et des règlements de comptes. Voilà pourquoi il y a des enlèvements récurrents. Ce ne sont pas uniquement les prêtres [qui en sont victimes]. Au début de ce conflit, quand il y avait vraiment un ancrage idéologique, il y avait très peu d'enlèvements orchestrés par les séparatistes et ils avaient le soutien massif de la population. Ce n’est plus le cas malheureusement», se désole-t-il.
Pour rappel, fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Les tensions avaient commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne.