Au Cameroun, «les séparatistes veulent maintenir la population dans un état de choc permanent»
13:18 24.08.2021 (Mis à jour: 16:57 23.11.2021)
© AFP 2024 MARCO LONGARILes forces de police camerounaises
© AFP 2024 MARCO LONGARI
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Un groupe d'hommes armés a ouvert le feu dans une église protestante dans le nord-ouest séparatiste du Cameroun pendant le culte du dimanche. La fusillade a fait un mort et de nombreux blessés. Si ce conflit est de moins en moins au centre de l’actualité, pour certains cette violence démontre «un refus de la banalisation» de la crise.
La barbarie n’a décidément plus aucune frontière dans la crise séparatiste qui déchire les deux régions anglophones du Cameroun. Dernière illustration en date, une fusillade dimanche 22 août dans une église presbytérienne de la localité de Bali, région du nord-ouest séparatiste. Un groupe armé a fait irruption en plein culte avant d’ouvrir le feu sur les fidèles. Le bilan, selon les sources locales, est d’un mort et de nombreux blessés parmi lesquels le pasteur. Dans un communiqué rendu public par le ministère de la Défense, Yaoundé attribue cette attaque aux groupes séparatistes.
«Les premières constatations balistiques établissent avec certitude que toutes les victimes ont été touchées par des plombs et chevrotines, munitions artisanales produites clandestinement par les terroristes», écrit Cyrille Serge Atonfack, porte-parole de l’armée camerounaise.
«Crimes odieux»
Si l’on ne sait trop rien jusqu’ici sur les mobiles précis de cette fusillade, il est à relever que les églises (catholiques ou protestantes) ont souvent fait les frais d’exactions dans le cadre de ce conflit, pour une proximité supposée avec l’un ou l’autre des belligérants. En 2018, de nombreux prêtres ont été enlevés et au moins trois ont été tués. Il s'agit du père Alexandre Sob Nougi, assassiné le 20 juillet 2018 à Buea, dans le sud-ouest, et Gérard Anjiangwe, séminariste du diocèse de Bamenda, dans le nord-ouest, le 4 octobre de la même année. En novembre, un missionnaire kényan a trouvé la mort à Mamfé dans le sud-ouest.
Alors que des vidéos choquantes de l’attaque du 22 août ont fait le tour de la Toile, de nombreuses voix se sont élevées pour condamner cet énième acte barbare. Dans un communiqué rendu public le jour même sur sa page Facebook, Maurice Kamto, Président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) adresse ses condoléances, ainsi que celles de son parti aux familles des victimes et demande l’ouverture d’une enquête: «En même temps, sans toutefois préjuger de l’identité des auteurs de ces crimes odieux, nous rappelons que ces atrocités commises contre des civils en zone de conflit armé constituent des crimes de guerre, sévèrement punis par la législation camerounaise et le droit international».
«Le MRC demande l’ouverture, sans délai, d’une enquête impartiale afin que les responsables de ces actes en répondent devant les juridictions compétentes», écrit Maurice Kamto.
Dans une autre sortie sur son compte Twitter, le célèbre avocat anglophone Akere Muna condamne également cette attaque et se désole du pourrissement de la crise.
Ce matin, des fidèles en plein culte à Bali dans la région du Nord-ouest du Cameroun ont été surpris par des tirs Je suis dépassé par cet acte de sacrilège. Voilà donc ce que nous sommes devenus! Mon cœur saigne pour les victimes, leurs familles et pour les habitants de Bali.
— Akere Muna (@AkereMuna) August 22, 2021
La longue guerre
Depuis plus de quatre ans, les régions du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun sont en proie à une violente crise séparatiste. Dans ces territoires où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux camps. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en février 2021, ce conflit a déjà fait plus de 3.500 morts (civils et militaires) et poussé plus de 700.000 personnes à abandonner leur foyer. Des milliers d’hommes et de femmes ont besoin d’assistance. Si les cas d’exactions sont tout aussi nombreux aujourd’hui que dans un passé récent, certains observateurs craignent que l’opinion au Cameroun ne s’en accommode à mesure que la situation perdure. Décryptant la symbolique de cette fusillade dans une église par un groupe armé, Eugène Arnaud Yombo, politologue axé sur la géopolitique du séparatisme et des sécessions y voit «la négation par les groupes armés de cette volonté de banalisation» du conflit qui «donne l’impression d’un retour à la normale».
«Les groupes armés veulent maintenir la population dans un état de choc permanent. Ce traumatisme semblait disparaître de la psychologie collective de la population, à mesure que le conflit s'enlisait. Les églises, les écoles seront visiblement les cibles de nouvelles attaques. L'enjeu est la reconquête par la force du contrôle social des lieux de vie. C’est le refus de la banalité et la réimposition d'une situation d'exception», analyse ce spécialiste des conflits au micro de Sputnik.
Alors que les affrontements sont de moins en moins au centre de l’actualité, de nouvelles sorties des ONG internationales alertent sur l’ampleur des dégâts. Début août, dans une nouvelle note d’information, Human Right Watch (HRW) dénonçait de nouveaux abus effectués par les deux camps. Fin juillet, Amnesty International dressait déjà dans une enquête, établie sur des témoignages et des images satellites, l’ampleur des destructions dans les régions anglophones, soulignant aussi que toutes les parties en conflit y commettent «des atteintes aux droits humains et des exactions, prenant ainsi au piège la population civile».