Fortes tensions au Maghreb: «il existe une alliance israélo-marocaine contre l’Algérie»

L’Algérie a décidé de revoir ses relations avec le Maroc qu’elle accuse de mener «des actes hostiles incessants». Cette mesure a été prise dans le sillage de l’alliance stratégique entre Rabat et Tel-Aviv qu’Alger considère être une menace pour sa stabilité et son unité nationale.
Sputnik
Entre l’Algérie et le Maroc, c'est de mal en pis. Mercredi 18 août 2021, le Président Abdelmadjid Tebboune tient une session extraordinaire du Haut Conseil de sécurité en présence des membres de l’état-major de l’armée et des responsables des services de sécurité du pays. Principal point à l’ordre du jour: les incendies de forêt qu’a subis le nord du pays et leurs conséquences. Plusieurs décisions sont prises au terme de cette réunion. La plus importante est certainement la révision des relations avec le Maroc accusé, avec Israël, d’avoir soutenu le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), une organisation séparatiste considérée comme terroriste par Alger. Pour les autorités algériennes, le MAK est tenu responsable de deux crimes: d’avoir allumé les feux en Kabylie et d’avoir organisé le lynchage de Djamel Bensmaïl, un bénévole soupçonné de pyromanie.
«Le Haut Conseil de sécurité a décidé […] d’intensifier les efforts des services de sécurité pour l’arrestation du reste des individus impliqués dans les deux crimes, ainsi que tous les membres des deux mouvements terroristes qui menacent la sécurité publique et l'unité nationale, jusqu'à leur éradication totale, notamment le ’’MAK’’ qui reçoit le soutien et l’aide de parties étrangères, en tête desquelles le Maroc et l'entité sioniste. Les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l'Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l'intensification des contrôles sécuritaires aux frontières occidentales», indique le communiqué du Haut Conseil de sécurité.

Relations en dents de scie

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Alger n’a pas précisé la nature des mesures qu’il pourrait prendre dans le cadre de cette révision. Le docteur Saïd Layachi, président du Comité algérien de solidarité avec le peuple sahraoui (CNASPS), organisation qui coiffe l’ensemble des associations et des ONG algériennes engagées en faveur de l'autodétermination de ce territoire (et opposée à ce titre à la position de Rabat), connaît parfaitement la nature des rapports entre les deux pays. Il estime que «c’est le volume, la nature et la qualité des relations avec Rabat qui vont être révisées par Alger».
«Techniquement il y a tout un arsenal de mesures qui vont être prises de façon graduelle, qui peuvent aller du rappel de l’ambassadeur et du maintien d’un chargé d’affaires, jusqu’au rétablissement des visas, l’interdiction des relations commerciales et l’annulation des liaisons aériennes», souligne-t-il.
Il estime que durant les 40 dernières années, le Maroc a eu différentes postures envers son voisin algérien: «il y a eu l’offensive fraternelle, les pressions multiples, l’ouverture, le soutien au Groupe islamique armé (GIA), les accusations de terrorisme, la fermeture, la main tendue…». Ces relations en dents de scie avaient pour principal objectif d’amener le pouvoir algérien à ce qu’il change sa position sur la question du Sahara occidental, estime Saïd Layachi.
«Pour le Maroc, le Sahara occidental reste la cause fondamentale. Il ne fallait surtout pas que l’Algérie ait une position en faveur du Front Polisario, donc en faveur de l’organisation d’un référendum d’autodétermination et qu’elle entraîne avec elle d’autres États, notamment dans le continent africain. Durant les années 1990, alors que l’Algérie faisait face à la menace terroriste, le Maroc avait misé sur l’effondrement de l’État algérien. Mais les pressions marocaines n’ont eu aucun effet sur l’Algérie qui reste arcboutée sur ses positions de principe en matière de décolonisation et, à juste titre, puisque ses responsables ont toujours fait valoir le droit international.»

«Imaginez l’Italie soutenir les séparatistes corses…»

Les tensions entre les deux pays se sont exacerbées ces derniers mois à la faveur du rapprochement entre le Maroc et Israël, État non reconnu par l’Algérie. Depuis le rapprochement de Rabat et de Tel-Aviv, sous l’égide de l’administration Trump, Alger s’est plaint à plusieurs reprises d’être la cible «d’actes hostiles». Celui qui a été considéré comme une véritable déclaration de guerre est sans nul doute la déclaration de soutien du Maroc au mouvement séparatiste kabyle. Le 14 juillet à New York, lors d’une réunion du mouvement des non-alignés, l'ambassadeur du Maroc à l'Onu, Omar Hilale, a fait passer une note dans laquelle il affirme que «le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l'autodétermination». Une réaction au soutien apporté par Alger au droit à l'autodétermination du Sahara occidental, que Rabat désigne sous l'appellation de «Sahara marocain».
«Mais ce qui change aujourd’hui fondamentalement c’est le passage à l’acte, le Makhzen ne se contente plus de la parole. Le Maroc porte aujourd’hui atteinte à l’unité du peuple algérien. Les autorités algériennes ont toujours accusé le Maroc et Israël de soutenir financièrement et logistiquement le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), mais à travers cette note, Rabat a affiché clairement sa position vis-à-vis d’une entité inscrite par Alger sur la liste des organisations terroristes. Imaginez un peu la réaction de la France si l’Italie annonçait ouvertement son soutien au Front de libération nationale corse (FLNC)», affirme Saïd Layachi.
L'affaire Pegasus révèle «une guerre géostratégique de leadership» entre le Maroc et l'Algérie
Pour le président du CNASPS, il existe aujourd’hui une «alliance israélo-marocaine contre l’Algérie». Il précise que le scandale de l’utilisation en masse par le Maroc du logiciel espion israélien Pegasus contre des dirigeants et des personnalités algériennes ainsi que les récentes déclarations anti-algériennes de responsables israéliens sont autant de fait qui confirment la thèse de la «déstabilisation interne».
«Les Israéliens ne peuvent pas faire la guerre aux Algériens, ils tentent donc depuis des années de déstabiliser l’Algérie de l’intérieur. Maintenant Israël est passé à une autre phase qui consiste à pousser le Maroc à entrer en guerre contre son voisin. Cela aura des conséquences fâcheuses entre les deux pays et des effets sur toute l’Afrique du Nord, le Sahel et même les pays du sud de l’Europe», ajoute le docteur Layachi.
Le 12 août, à partir de Rabat, le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid avait fait part «d’inquiétudes au sujet du rôle joué par l’Algérie dans la région, son rapprochement avec l’Iran et la campagne qu’elle a menée contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’Union africaine».
À la déclaration surprenante de Yaïr Lapid - c’est en effet une des rares fois qu’Israël cite l’Algérie - le ministère algérien des Affaires étrangères a répondu par un communiqué dans lequel il accuse Nacer Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, «d’être l’instigateur de cette sortie intempestive». Face à cette situation marquée par les tensions, Saïd Layachi est persuadé que l’Algérie répondra à l’avenir «coup pour coup».
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