Bénévole lynché en Algérie: une soixantaine d'interpellations, la piste «terroriste» privilégiée
08:15 18.08.2021 (Mis à jour: 16:56 23.11.2021)
© AP Photo / Fateh GuidoumFeu de forêt en Algérie
© AP Photo / Fateh Guidoum
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La police algérienne a annoncé avoir interpellé 61 personnes impliquées dans l’assassinat de Djamel Bensmaïl, un bénévole engagé dans la lutte contre les incendies en Kabylie. Certains ont reconnu être membres du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), classé par les autorités algériennes dans les organisations terroristes.
Le lynchage de Djamel Bensmaïl, mercredi 11 août dans la ville de Larbaa Nath Irathen, s’est transformé en drame national. C’est dans cette localité que le bénévole de 36 ans était arrivé la veille pour participer à la lutte contre les incendies qui ravagent depuis plus d’une semaine les monts de Kabylie. Les vidéos de son passage à tabac par un grand nombre d’individus et les mutilations atroces de sa dépouille ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie. Cependant, les raisons qui ont conduit à son accusation de pyromanie par certains habitants de la région restent encore inconnues.
Aveux télévisés
Il semble que l’enquête menée sous la supervision du pôle pénal Centre, situé au tribunal de Sidi M’hamed à Alger, avance à bon rythme. Mardi 17 août, dans le courant de l’après-midi, les télévisions ont diffusé les aveux de cinq individus présumément impliqués dans l’assassinat de Djamel Bensmaïl. Les visages de quelques-uns apparaissent dans les vidéos prises devant le commissariat de Larbaa Nath Irathen. Parmi ce groupe, certains ont déclaré être des membres actifs du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), organisation classifiée terroriste par les autorités algériennes au même titre que les islamistes du Mouvement Rachad, proche des Frères Musulmans.*
Jeudi 12 août 2021, lors d’une intervention télévisée, le Président Abdelmadjid Tebboune avait déclaré que l’opinion publique ne devait pas «tomber dans le piège de deux organisations terroristes qui exploitent cette affaire pour porter atteinte à l’unité nationale».
Plus tôt dans la journée de mardi, un communiqué de la Direction générale de la Sûreté nationale annonçait que l’enquête de la police avait permis de «découvrir qu'un réseau criminel, classé comme organisation terroriste, est derrière le plan ignoble, de l'aveu de ses membres arrêtés». Le même communiqué a également révélé la récupération du téléphone portable de la victime. Ainsi, ce smartphone contient «des informations étonnantes sur les véritables mobiles du meurtre du jeune Djamel Bensmaïl, qui seront révélées par la Justice ultérieurement en raison du secret de l'instruction».
Affaire Djamel Bensmail: la DGSN annonce avoir récupéré les données du téléphone de la victime et procédé à l'arrestation de 25 nouveaux suspects dont deux qui tentaient de fuir le pays. #Algérie https://t.co/4tMT97NgVg
— Zahra Rahmouni (@ZahraaRhm) August 17, 2021
En fait, une première série d’aveux télévisés a été diffusée lors d’une conférence de presse animée dimanche 15 août par Mohamed Chakour, le directeur de la police judiciaire. L’opinion publique a pu voir les séquences filmées par plusieurs personnes, originaires de plusieurs régions du pays, qui ont reconnu avoir participé au lynchage de Djamel Bensmaïl. Au total, depuis le début des investigations, 61 ont été interpellées par les services de sécurité. Certaines étaient sur le point de quitter le territoire algérien pour passer au Maroc ou en Tunisie.
#Algérie #DGSN #Djamel_Bensmain Affaire de l'assassinat du jeune Djamel Bensmail : arrestation de 36 mis en cause (Vidéo) https://t.co/Mzh01Qrf5H
— Dernières Infos d'Algérie (DIA) (@DIALGERIE1) August 15, 2021
Inhabituelles en Algérie, ces séances d’aveux télévisés peuvent cependant être organisées en vertu de l’article 11 du code de Procédure pénal. «Afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes, ou pour mettre fin à un trouble de l’ordre public, le représentant du ministère public ou l’officier de police judiciaire, sur autorisation écrite du procureur de la République, peut rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause», dispose l’alinéa 3 de cet article du Code de procédure pénale.
Contacté par Sputnik, Me Moumen Chadi, avocat au barreau d’Alger, a estimé que la présentation des suspects devant l’opinion publique «ne contribue pas à permettre à la justice de faire son travail de recherche et de découverte de la vérité».
Le secret de l’instruction est un principe cardinal, notamment dans une affaire aussi sensible où le nombre de protagonistes est important. À mon avis, ces personnes n’auraient pas dû être présentées à l’opinion publique à visage découvert. Leurs aveux pourraient alerter d’autres individus qui seraient tentées de dissimuler des éléments importants. Sur le plan judiciaire, un tel procédé est contreproductif. La police judiciaire aurait dû les présenter de dos comme cela se fait habituellement sans pour autant divulguer leurs aveux», a précisé l’avocat.
Dans ce dossier très complexe, les autorités semblent préoccupées par la nécessité d’éviter une situation de vendetta. Mardi 17 août, la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH) a annoncé avoir saisi la justice à l’encontre d’un groupe de «trois jeunes, qui se disent d’Annaba, appelant à rayer la Kabylie de la carte de l’Algérie» dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
*Organisation terroriste interdite en Russie