Petit à petit la Syrie refait surface auprès de ses voisins arabes.
Le ministre syrien du Pétrole, Bassam Tohmé, et celui de l’Électricité, Ghassan al-Zamel, se sont rendus le 23 juin à Amman, en Jordanie, une première depuis le début de la crise en 2011. Même si Amman et Damas n’avaient pas rompu leurs relations diplomatiques, les contacts étaient très limités depuis le début des hostilités. Reçus par Hala Zawati, ministre jordanienne de l’Énergie et des Ressources minières, les deux membres du gouvernement syrien sont venus examiner «l’état du réseau d’interconnexion électrique entre la Jordanie et la Syrie et l’infrastructure de la ligne de gaz arabe reliant les deux pays», a indiqué l’exécutif jordanien à l’AFP. En effet, le gazoduc et la ligne électrique reliant l’Égypte, la Jordanie et la Syrie ont fortement été endommagées durant le conflit.
Une rencontre qui en dit long sur l’évolution diplomatique autour de la Syrie: «il y a une nouvelle dynamique qui s’instaure dans la région», résume Richard Labévière, directeur du site d’information Proche&Moyen-Orient.ch.
«La Syrie a lancé une diplomatie un peu tous azimuts. Après une décennie de conflit, la Syrie est en passe de redevenir un acteur clé de la géopolitique régionale. La nature a horreur du vide, donc la Syrie va petit à petit redevenir un pays pivot et stratégique. Cette visite de la délégation syrienne s’inscrit dans cette logique», souligne-t-il au micro de Sputnik.
Dès 2018, la Jordanie avait rouvert le principal poste-frontière avec la Syrie, fermé en 2015 en raison de l’intensité des conflits et du contrôle de la région limitrophe par les forces djihadistes. Sa réouverture a donc permis la reprise des activités économiques entre les deux pays. Depuis, personnes et marchandises y transitent quotidiennement. De quoi redonner de l’oxygène à la Syrie exsangue: avant la guerre, le trafic commercial de ce poste-frontière générait pas moins d’1,5 milliard de dollars.
Cela est néanmoins insuffisant pour Damas, qui recherche d’autres bonnes nouvelles. Et celles-ci semblent se profiler à l’horizon: indépendamment de la Jordanie, plusieurs pays du Golfe verraient également d’un bon œil le retour de Damas dans la famille arabe et n’hésiteraient plus à entretenir des relations avec Bachar el-Assad.
L’Arabie saoudite à deux doigts de rouvrir son ambassade à Damas?
«Pendant tout le début du conflit, l’Arabie saoudite a œuvré à la déstabilisation de la Syrie par le jeu des milices interposées, aujourd’hui Riyad revient par la petite porte», résume le spécialiste du Moyen-Orient. En effet, après avoir financé l’opposition syrienne, rompu ses relations avec Damas en 2012 et évincé la Syrie de la ligue arabe, Riyad a amorcé un timide rapprochement avec le pouvoir syrien depuis plusieurs mois. À en croire Richard Labévière, les circonstances sont désormais favorables à Damas: «la région ne pouvait pas se passer indéfiniment de l’attractivité de la Syrie.»
«Il y a une embellie pour la Syrie qui se traduit par des avancées diplomatiques notables. Chaque pays a ses propres intérêts en revenant dans le jeu syrien; l’Arabie saoudite tenterait de faire de l’ombre à l’influence iranienne, mais il est difficile d’imaginer Bachar se passer de l’allié iranien», souligne le directeur de Proche&Moyen-Orient.ch.
«Le Golfe marque de nouveau un intérêt croissant pour la Syrie et ce mouvement a été initié par les Émirats», ajoute-t-il. En effet, Abou Dhabi a rouvert son ambassade à Damas en décembre 2018, suivi de près par celle de Bahreïn. Les Émirats arabes unis sont dès lors devenus l’un des principaux soutiens de Bachar el-Assad. De fait, en mars 2020, Mohamed Ben Zayed (MBZ) aurait offert pas moins de trois milliards de dollars à la Syrie en échange de la reprise des combats contre les djihadistes d’Idlib, proches de la mouvance des Frères musulmans. «Sur le terrain, il y a des clientèles avec des approches différentes», résume le consultant, qui fait valoir qu’ainsi, les Émirats luttent indirectement contre leur rival qatari, parrain des Frères musulmans.
«Moscou a voulu prouver que les États-Unis n’étaient plus seuls dans la région»
Dans la foulée de la visite du chef de la diplomatie russe, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel al-Joubeir, avait confirmé les dires moscovites: «la Syrie mérite de revenir dans l’échiquier arabe. Nous soutenons tous les efforts à résoudre la crise.» Son homologue émirati avait quant à lui certifié qu’«il [fallait] dépasser les obstacles qui se dressent devant une coopération avec Damas.»
Un succès diplomatique russe qui fait l’affaire de tous:
«Par l’entremise de l’engagement russe en Syrie, Moscou a voulu prouver que les États-Unis n’étaient plus seuls dans la région. Mais il s’agissait entre autres de soutenir un allié de longue date. Aujourd’hui, alors que les combats prennent fin, la Syrie a besoin de capitaux financiers, choses que les Russes ne peuvent pas accorder. Ils ont le capital militaire, mais pas financier», estime Richard Labévière.
D’où l’intérêt de réintégrer les pétromonarchies dans le jeu syrien. Selon l’ONG World Vision, le coût de la reconstruction de la Syrie serait estimé à plus de 1.000 milliards de dollars. Dans un billard à trois bandes, Moscou a le rôle d’entremetteur:
«La Russie en appelle au capital financier du Golfe pour reconstruire la Syrie avec le capital humain et industriel chinois», conclut-il.