Décidément, l’Arabie saoudite ne cesse de surprendre. Après la réconciliation avec le Qatar en janvier dernier, la reprise des discussions avec la Turquie et la volonté affichée du prince héritier Mohammed Ben Salmane de nouer de bonnes relations avec l’ennemi iranien, Riyad est sur le point de rétablir des relations diplomatiques avec Damas.
Entre l'#Arabiesaoudite et la #Syrie, « de nombreux dossiers ont été mis sur la table parmi lesquels le rôle que pourrait jouer la Syrie pour apaiser les tensions entre l’Arabie saoudite et l’#Iran. » @mounir_rabih https://t.co/lsiTLfQJKf
— L'Orient-Le Jour (@LOrientLeJour) May 5, 2021
Selon le média arabe Rai Al-youm, une délégation saoudienne dirigée par le chef du service de renseignement, le lieutenant général Khaled Al-Humaïdan, s’est rendue à Damas le 3 mai pour rencontrer le Président Bachar el-Assad. Ce déplacement préparerait la réouverture de l’ambassade saoudienne dans la capitale syrienne après la fête de l’Aïd el-Fitr, le 13 mai prochain. Ni Riyad ni Damas n’ont toutefois commenté cette information.
Depuis 2012, Riyad avait rompu ses relations avec la Syrie en prenant parti pour l’opposition syrienne et avait évincé Damas de la Ligue arabe. Pour Umar Karim, chercheur à l’université de Birmingham et spécialiste des pays du Golfe, ce repositionnement est à la fois géopolitique, conjoncturel et économique.
«Pour l’instant, les relations sont totalement suspendues et il n’existe aucun lien politique ou économique. Les décideurs saoudiens comprennent maintenant qu’Assad est là pour rester et qu’ils devront peut-être un jour s’engager avec lui», souligne-t-il au micro de Sputnik.
Et l’Arabie saoudite n’est pas le premier pays du Golfe à l’avoir compris. En décembre 2018, les Émirats arabes unis avaient rouvert leur ambassade à Damas. En novembre de la même année, la Jordanie avait décidé de rouvrir un poste-frontière. En ayant gagné la guerre, Bachar el-Assad obligerait ainsi ses voisins arabes à composer avec lui. La Syrie réintégrerait le giron arabe et les investissements du Golfe pourraient faciliter la reconstruction du pays.
388 milliards de dollars pour reconstruire la Syrie
«Depuis le voyage du Roi Salmane en Russie en octobre 2017, l’Arabie saoudite a mis fin à la majeure partie de son soutien aux rebelles syriens. Pour ce qui est de la reconstruction, cela peut être un point de négociation, mais l’Arabie saoudite ne le fera qu’une fois que les États-Unis auront donné leur feu vert», estime le chercheur à l’Université de Birmingham.
Washington n’est pourtant pas le seul à jouer de son influence auprès de Riyad. En effet, dans la foulée de la visite de Sergueï Lavrov en mars dernier dans le Golfe persique, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel al-Joubeir, avait déclaré que «la Syrie mérite de revenir dans l’échiquier arabe. Nous soutenons tous les efforts à résoudre la crise.» La Russie joue donc de son influence diplomatique pour réintégrer la Syrie dans le concert des nations régionales.
«La réouverture de l’ambassade à Damas n’est pas une initiative purement saoudienne», souligne Umar Karim.
Mais, indépendamment des pressions qui ont pu jouer dans ce revirement diplomatique, l’Arabie saoudite garderait son objectif initial en ligne de mire, à savoir contenir l’influence iranienne en Syrie.
En Syrie, l’Arabie saoudite a échoué face à l’Iran
Cette avancée iranienne n’est pas sans rappeler la volonté des Saoudiens au début de la guerre en Syrie, qui avaient choisi le camp de l’opposition pour empêcher l’Iran d’atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, force est de constater l’échec patent de cette stratégie. Riyad choisirait donc de se rapprocher de Damas pour le ramener dans le giron arabe. Pour Umar Karim, la probable réouverture de l’ambassade saoudienne à Damas cache difficilement l’intention de concurrencer l’influence des mollahs iraniens.
«C’est un objectif clé, mais tant que l’Iran et surtout ses éléments mandataires sont présents en Syrie, cela reste difficile. Les Saoudiens seraient plus disposés à soutenir de telles activités dans les zones contrôlées par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), ce qui les aiderait également à marquer des points auprès des Américains», résume-t-il.
Contenir l’influence iranienne sert en effet les intérêts de Washington. Riyad l’a bien compris et n’en est pas à son coup d’essai. Au cours du déplacement de Moustafa el-Kazimi, Premier ministre irakien, en Arabie saoudite le 31 mars dernier, le royaume aurait prévu d’investir trois milliards de dollars dans l’économie irakienne. Officieusement, c’est également une manière de saper le poids des milices pro-iraniennes en Irak.
En dépit de la volonté affichée de MBS de nouer des relations diplomatiques cordiales avec l’Iran, Téhéran resterait donc son principal adversaire régional. De surcroît, la reprise des relations diplomatiques syro-saoudiennes serait également soumise à conditions: l’Arabie saoudite souhaiterait que Damas prenne ses distances avec son allié iranien.