La Commission du nouveau modèle de développement au Maroc «s’est imposé une autocensure et des lignes rouges»

Dans un entretien à Sputnik, le Pr Najib Akesbi, enseignant-chercheur marocain en économie, affirme que la CSMD s’est «imposé une sorte d’autocensure pour ne pas analyser les problèmes des politiques économiques des 60 dernières années, dictées par la monarchie exécutive». Selon lui, les réponses apportées «sont inefficaces».
Sputnik

En décembre 2019, le souverain chérifien a mis en place la Commission spéciale sur le modèle de Développement (CSMD) à qui il a confié la tâche de réfléchir à un nouveau modèle de développement.

En effet, en 2014 et 2017, dans des discours officiels à la nation, le roi Mohammed VI a constaté l’inaptitude du modèle de développement, suivi au moins depuis 60 ans au Maroc, à satisfaire les demandes pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités catégorielles et les écarts territoriaux, ainsi qu’à rendre la justice sociale.

Le 25 mai, le président de la CSMD, Chakib Benmoussa, a présenté officiellement au souverain le rapport final de la Commission, selon un communiqué du Palais royal relayé par Maghreb arabe presse (MAP), suscitant depuis un important débat dans la société.

Le nouveau modèle a-t-il innové dans les moyens de financement de l’économie afin d’éviter une hausse de la dette publique qui a déjà atteint le record de près de 100% du PIB? Qu’en est-il de la réforme fiscale qui est l’un des obstacles majeurs dans le financement du pays?

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Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le professeur Najib Akesbi, enseignant-chercheur en économie.

Pour lui, «la proposition de financer le nouveau modèle de développement par la dette pose un problème majeur qui se décline en deux scénarios: soit nombres de projets proposés resteront lettre morte à cause du manque de financement, soit il faudra pousser à la hausse l’endettement du pays, ce qui ne manquerait pas de mener inexorablement à une asphyxie de son économie».

«Il n'y a pas eu une volonté d’évaluer l'expérience passée»

«À mon avis, le diagnostic présenté par le rapport est superficiel et n’aborde pas les problèmes structurels profonds qui entravent le développement au Maroc», estime le Pr Akesbi, soulignant par ailleurs que «la commission, nommée par le roi, ne dispose d'aucune légitimité démocratique».

Et d’expliquer que «tout rapport dont l'ambition est de présenter une nouvelle vision et des alternatives doit être basé sur l'identification de la maladie avant de présenter la thérapie adéquate pour les 15 prochaines années».

Dans le même sens, l’expert avance que «la commission s’est imposé une sorte d’autocensure pour ne pas analyser les problèmes de fond des politiques économiques publiques des 60 dernières années dictées par la monarchie exécutive. Il aurait fallu parler de l'échec de ces choix qui se déclinent suivant deux axes: le développement d’une économie de marché par l’encouragement du secteur privé et l'intégration dans la mondialisation, c'est-à-dire le pari sur les exportations et la demande extérieure avant intérieure».

De plus, il constate que les membres de la CSMD «n’ont pas abordé ces choix considérés comme des lignes rouges, ce qui nous permet de dire qu’il n'y a pas eu une volonté d’évaluer l'expérience passée et son mode de gouvernance où la monarchie exécutive avait un rôle prédominant, conformément à la Constitution du pays».

Quid des 20 dernières années?

En 1999, après l’arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI suite au décès de son père le roi Hassan II, tout en demeurant la continuité des orientations antérieures, un nouveau souffle a été donné aux politiques publiques. Selon le Pr Akesbi, «ce nouveau souffle se décline suivant quatre axes: les mégaprojets, les plans sectoriels, les accords de libre-échange et l'Initiative nationale pour le développement humain».

Ainsi, faisant remarquer que la CSMD n’a également pas procédé à l’évaluation de ces quatre axes de politique économique de ces 20 dernières années, il s’interroge: «Pourquoi, après toutes ces décennies nous n'avons pas réussi à bâtir une économie de marché, c'est-à-dire une économie où règnent la libre concurrence, le pluralisme et la transparence?».

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Il en va de même, poursuit-il, «pour le choix de s'intégrer dans la mondialisation. Est-il raisonnable que nous ayons adopté depuis 60 ans des politiques qui encouragent le secteur privé par des subventions, des prêts et des incitations, alors que ce secteur n'a pas rempli le rôle qui lui est assigné?»

«Au lieu de cela, nous avons une économie gangrénée par la rente devenue structurelle et le point d’articulation avec le système politique, en plus de la corruption qu’elle génère. L'autocensure aboutit à un diagnostic médiocre et à des alternatives suggérées inefficaces», ponctue-t-il.

«Le test de crédibilité»

«Le financement de l’économie marocaine est le test de crédibilité auquel les experts de la CSMD n’ont pas apporté de réponses», juge Najib Akesbi.

«Si l'on veut s'autofinancer dans le cadre de la souveraineté, une profonde réforme fiscale doit être amorcée. Nous devons mettre en place une fiscalité efficace et équitable à même de mobiliser les ressources financières nécessaires à l'économie», suggère-t-il, «bien que la fiscalité actuelle est reconnue par l’ensemble des Marocains comme inefficace et injuste […]. Le rapport de la commission n'a pas été à la hauteur de ces enjeux».

En effet, selon lui, «le document de 170 pages comporte seulement une dizaine lignes au sujet de mesures fiscales, de surcroit largement empreintes des revendications de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), notamment la réduction du taux d'imposition sur les entreprises».

Comme tout le monde s'accordait sur l'importance et l'urgence de la réforme fiscale, «il fallait y faire référence dans le rapport pour donner des possibilités de financement au pays», estime le Pr Akesbi qui regrette que «ce qui [ait] été proposé comme solution [soit] la dette».

«Cela pose un problème majeur, car les possibilités dans ce sens sont très limitées en raison du taux d'endettement qui se situe actuellement aux alentours des 100 % du PIB», explique-t-il. «Dans le contexte du Covid-19, ce qui a été accumulé 2020 comme dettes, intérieures ou extérieures, pose la question de la marge actuellement disponible pour continuer à s'endetter».

À ce titre, puisqu'il n'y a pas de réforme fiscale ni de politique monétaire active, et compte tenu de la marge d'endettement limitée, «nous sommes confrontés à deux scénarios. Le premier est que nombres de projets proposés dans le rapport resteront sans financement suffisant. Le second est le choix du financement, mais par la dette, ce qui enfoncerait inexorablement le pays dans un surendettement qui finirait par asphyxier l’économie nationale».

En conclusion

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L’interlocuteur de Sputnik considère que «le diagnostic devait d'abord comprendre les raisons de l'échec des choix précédents pour pouvoir proposer une nouvelle alternative».
«Il est insensé de continuer avec des politiques qui ont échoué!», assène-t-il.

Par ailleurs, «il faudrait un plan de développement global, à l’instar de ce qui se passe dans le reste du monde, pour surmonter les problèmes d'incohérence et de conflit sectoriels».

Concernant les déficits dans tous les accords de libre-échange, le Pr Akesbi propose «d’étudier la réalité exportatrice du pays et entreprendre les réformes nécessaires pour créer une offre exportatrice diversifiée et compétitive», soutenant qu’«à ce moment-là, les accords de libre-échange seront rentables». Dans ce sens, il précise que «cela ne passera que par une véritable souveraineté qui commence par des réformes visant à renforcer le tissu économique interne avant de s’orienter vers l'extérieur».

«Les alternatives sont claires quand on a un vrai diagnostic, mais malheureusement, dès le début, la commission s'est imposé la censure et les lignes rouges, restant à la surface des problèmes sans aller en profondeur», conclut-il.

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