Un expert marocain étrille la résolution votée par le Parlement européen contre le Maroc

CC BY 2.0 / Tristan Schmurr / European ParliamentParlement européen à Strasbourg
Parlement européen à Strasbourg - Sputnik Afrique, 1920, 15.06.2021
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Dans un entretien à Sputnik, le Pr Lahlou affirme que la résolution votée par le Parlement européen n’aborde pas «les problèmes structurels qui auraient dû être posés» et qui génèrent l’immigration clandestine. Il appelle les pays maghrébins à agir avec force pour «construire un ensemble régional fort à même de peser et de compter en Méditerranée».

Le Parlement européen a voté jeudi 10 juin une résolution rejetant le comportement du Maroc lors de la crise migratoire et diplomatique avec Madrid, résultat de la présence du Président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Brahim Ghali, en Espagne pour des soins médicaux.

Le texte rejette «l’utilisation par le Maroc des contrôles aux frontières et de la migration, notamment des mineurs non accompagnés, comme moyen de pression politique sur un État membre de l’Union», en l’occurrence l’Espagne.

Quel est l’impact de cette résolution sur les relations Maroc-UE et avec les pays du Maghreb en général? Quels aspects néglige-t-elle? A-t-elle vraiment pris en compte les droits des migrants, notamment des enfants?

Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Pr Mehdi Lahlou, expert et chercheur marocain en économie à l'Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA) de Rabat. Ses recherches portent notamment sur les migrations et le travail des enfants.

Pour M.Lahlou, ce genre d’ingérences de la part du Parlement européen va continuer «tant que les autorités des pays maghrébins n’ont pas compris que le seul moyen d’y faire face est de créer un ensemble économique, scientifique, technologique et politique capable de peser comme un bloc géopolitique unifié dans le bassin méditerranéen».

Une résolution «sans aucun égard pour le Maroc»

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«La résolution du Parlement européen est à la fois partiale et partielle», estime le Pr Lahlou qui explique concernant la partialité que la résolution «a adopté totalement les positions espagnoles sans aucun égard pour le Maroc, en plus du fait qu’elle évoque deux autres sujets qui ne concernent pas l’actualité européenne, à savoir les villes de Sebta (Ceuta) et Mélilia (Melilla), et le conflit sahraoui».

Pour ce qui est des enclaves de Sebta et Mélilia dans le nord du Maroc, «les députés européens les ont considérées pour la première fois de l’histoire de l’Europe comme des ‘’territoires européens’’, ce qui n’était pas le cas avant. La résolution juge ces territoires comme étant espagnols, alors qu’ils sont également revendiqués par le Maroc, et alors qu’il n’y a aucune avancée sur la question de Gibraltar et que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Il n’a de plus jamais été dit que ce territoire pouvait revenir à l’Espagne, ou que, depuis le Brexit, l’Europe a soutenu les revendications espagnoles sur ce bout de la péninsule ibérique».

Dans le même sens, Mehdi Lahlou rappelle que «feu le roi Hassan II avait lié les deux problématiques. Il estimait que l’occupation de Ceuta et Melilla pouvait avoir une petite justification du fait de l’occupation de Gibraltar par le Royaume-Uni».

«Le Parlement européen a commis une grosse et grave erreur»

Par ailleurs, «la résolution n’a pas uniquement rejeté l’usage "des enfants" dans la politique migratoire marocaine, mais il a été également dit que l’Europe reconfirmait sa position concernant la question sahraouie, pendant de l’ex-colonie espagnole, que le Maroc considère comme son propre territoire», poursuit notre interlocuteur.

En évoquant ces deux points conflictuels entre le Maroc et l’Espagne et en en devenant partie prenante, «le Parlement européen a commis une grossière erreur en termes moral et politique», juge-t-il, soulignant qu’il a, de fait, «refermé ce dossier qui était en discussion, sur d’autres sphères, entre l’Union européenne et le Maroc».

«S’il y avait une logique aussi bien dans la position du Parlement européen que dans celle de l’Espagne, qui estiment que la question sahraouie relève de l’Onu et qu’elle est comme une question de décolonisation, pourquoi les pays européens n’ont-ils pas suivi la même démarche relativement aux présides de Sebta et Mélilia ? Pourquoi n’a-t-on pas traité ces deux villes comme des questions de décolonisation, en visant à appliquer les mêmes résolutions de l’Onu à la question sahraouie? Pourquoi n’envisage-t-on pas également un référendum d’autodétermination pour les populations de Ceuta et Melilla? Ces dernières pourraient alors choisir de rester espagnoles, de devenir marocaines ou tout simplement d’avoir leur autonomie aussi bien par rapport au Maroc qu’à l’Espagne».

Quid «de la problématique dans son ensemble»?

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Concernant le côté partiel, «la résolution pointe le problème "des enfants" dans l’approche migratoire marocaine, mais sans évoquer les causes profondes qui génèrent ce fléau. La résolution ne pose pas la problématique migratoire dans son ensemble, aussi bien géographique (celui de l’Afrique dans sa globalité) que socio-économique, sécuritaire et environnemental», explique l’économiste.

En effet, pour le professeur Lahlou, «il fallait reconnaître que depuis des décennies, au moins depuis la fin du siècle dernier, le Maroc fait face, presque seul, à l’ouest de la Méditerranée, au phénomène migratoire du fait d’être devenu un véritable nœud de passage de migrants africains vers les pays de l’Union européenne».

«Ceci coûte énormément au Maroc quant à ses relations avec les pays africains, comme il lui coûte également très cher en termes de moyens financiers et humains au détriment de ses propres besoins en termes d’emplois, de sécurité sociale, de santé, d’éducation et de bien d’autres services publics de base». Dans ce cadre, l’expert considère que «les quelques dizaines de millions d’euros déboursés par l’Union européenne de temps à autre afin d’aider le Maroc dans la sécurisation de ses frontières, et donc, en réalité, de celles de l’Europe, sont une plaisanterie qui permet à cette dernière de fuir ses responsabilités et de faire porter tout le fardeau financier et politique sur le royaume dans la lutte engagée contre l’immigration clandestine».

À ce titre, le Pr Lahlou s’interroge sur «les déclarations de Joseph Borel qui a dernièrement affirmé lors d’un déplacement au Mali que les frontières de l’Europe sont au Sahel, soit au centre de l’Afrique.  Là-dessus, nous lui disons que nous sommes d’accord. Alors, chiche, que les Européens débarquent dans l’immense Sahara pour sécuriser leurs frontières, qu’ils mettent en place une espèce de ligne Maginot face aux migrants, et nous verrons combien cela va leur coûter en tout point de vue».

«Le problème structurel qui aurait dû être posé»

Le Pr Lahlou aborde également les causes profondes qui génèrent l’immigration clandestine. «S’il y a aujourd’hui migration vers l’Europe, c’est parce qu’il y a un gros désespoir sur le continent africain où les jeunes peinent à se donner une raison d’y rester vu le très haut niveau de chômage, de pauvreté et d’insécurité», lâche-t-il. Ceci vient en plus des changements climatiques qui ont induit, notamment, de grandes sécheresses récurrentes et une désertification galopante affectant de larges zones du continent, provoquant des mouvements forcés de population en Afrique même et vers l’Europe notamment».

Ainsi, la résolution votée par les députés européens n’aborde-t-elle pas «le problème structurel qui aurait dû être posé: soit celui des relations entre les pays européens, pour la plupart des ex-puissances coloniales [la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ndlr], et les pays décolonisés», ponctue-t-il.

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Le journaliste marocain Raissouni demande juste «son droit à un procès équitable avec les garanties nécessaires»
«Ces derniers n’ont pas eu les mains libres sur leurs richesses, ce qui ne leur a pas laissé les moyens de leur développement. Ce sont ces mêmes ex-puissances coloniales qui exploitent les richesses des pays africains et le peu qu’elles laissent est mal utilisé par les gouvernements locaux. Le manque de conditions de vie descentes en Afrique pousse beaucoup de jeunes à migrer vers les pays du nord, notamment européens», expose l’expert marocain.

Vers un bloc géopolitique dans le bassin méditerranéen?

Avant la résolution votée contre le Maroc, les députés européens ont voté deux résolutions contre l’Algérie, évoquant la question des droits de l’homme et du respect des libertés fondamentales.

Pour Mehdi Lahlou, «si les députés européens se permettent de porter atteinte aux pays maghrébins par ce genre de résolutions, c’est parce que, justement, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ne sont pas respectés dans ces pays, loin s’en faut, ouvrant ainsi, entre autres, la porte à toutes les aventures sécessionnistes sous couvert de droit à l’autodétermination».

«Le Maghreb ne pourra s’en sortir que dans un cadre unifié sous la bannière d’un projet commun de développement économique, social, scientifique et technologique qui ferait en sorte, notamment, que les frontières politiques entre l’Algérie, le Maroc, la Libye, la Tunisie et la Mauritanie n’existent plus».

Enfin, le Pr Lahlou dénonce le fait que «les pays européens, qui refusent des statuts d’autonomie ou d’indépendance à certaines régions, comme la Catalogne en Espagne, encouragent les mouvements séparatistes au Maghreb, dont le résultat est certainement l’effritement de toute la région, et donc sa faiblesse».

«Les pays maghrébins peuvent construire un ensemble solide en comptant sur leurs ressources humaines, les richesses de leur sol et en créant un marché commun, unifié de plus de 100 millions d’êtres humains. Ceci leur donnera la possibilité de se dresser comme partenaire crédible et comme un bloc géopolitique et économique incontournable avec et face à tous les partenaires étrangers, notamment l’Europe. C’est cela qui permettra, par la même occasion, de mettre un terme au problème de l’immigration clandestine, ou, à tout le moins, de le rendre plus facilement gérable, en offrant des conditions de vie descentes aux populations locales, y compris africaines», assure-t-il. Et de conclure: «c’est ce processus qui devrait être encouragé par l’Union européenne et non pas les frictions dont les effets délétères et combien déstabilisants sont visibles pour tout le monde dans cette région».
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