La nouvelle a eu l’effet d’une bombe au Canada, surtout dans les provinces de l’Ouest. Le premier jour de son mandat à la Maison-Blanche, Joe Biden a signé un décret annulant le projet de nouvel oléoduc Keystone XL. Ce pipeline était censé transporter du pétrole depuis la province canadienne de l’Alberta jusqu’à l’État américain du Nebraska et les raffineries du Texas.
«Keystone XL aurait fourni d’immenses revenus au Canada»
Il est urgent pour le Canada de trouver d’autres marchés pour son pétrole, estime Miguel Ouellette, expert des questions énergétiques et économiste à l’Institut économique de Montréal.
«Keystone XL aurait fourni d’immenses revenus au Canada. C’est une immense perte pour notre pays. […] 98% des exportations de pétrole canadien vont aux États-Unis. Dans ce contexte de blocage, ce serait un très mauvais modèle économique que de garder un client unique. En Amérique du Nord, la demande de pétrole va diminuer d’environ 20% dans les prochaines années, alors qu’elle va augmenter ailleurs, comme en Inde et au Moyen-Orient. Le Canada doit se défaire de sa dépendance au marché américain», tranche l’économiste à notre micro.
Aussi, rappelle-t-il qu’un oléoduc de l’entreprise canadienne Enbridge –passant par le territoire américain– risque également la fermeture. Gretchen Whitmer, gouverneur Démocrate du Michigan, travaille d’arrache-pied pour faire fermer la «Ligne 5» d’Enbrige. Un oléoduc qui, selon elle, contrevient à l’accord permettant de traverser le détroit de Mackinac, situé sur le territoire du Michigan.
Joe Biden influencé par «l’aile radicale» de son parti?
Selon Miguel Ouellette, bien que Joe Biden n’ait jamais semblé «opposé au développement énergétique», il devrait tout de même composer avec le «virage vert» que prônent de plus en plus d’élus Démocrates:
«Durant la dernière campagne, on a vu l’influence qu’avaient des figures montantes du Parti démocrate comme Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders. Sur les questions énergétiques, Joe Biden semble subir la pression de l’aile radicale de son parti, mais aussi de gens plus modérés. Pour Keystone XL, Biden semble avoir voulu satisfaire les radicaux, alors que pour la Ligne 5 d’Enbridge, il ne s’est pas encore positionné», constate-t-il.
Au Canada, le ralentissement de l’économie du pétrole albertain est tel qu’il pourrait finir par ébranler l’unité canadienne. Un désir d’autonomie est de plus en plus palpable dans l’Ouest canadien, en raison des obstacles que rencontre de plus en plus souvent l’industrie des sables bitumineux. Non seulement cette industrie se heurte maintenant à l’annulation de Keystone XL par Washington, mais les Libéraux de Trudeau sont accusés de vouloir y mettre un frein, toujours pour des motifs environnementaux.
Les déboires du pétrole canadien ébranlent l’unité du pays
En Alberta, un mouvement sécessionniste à même le vent en poupe. Les partisans de l’indépendance jugent injustes la politique environnementale des Libéraux et le système de péréquation, qui transfère des revenus des provinces les plus riches aux provinces les plus pauvres. D’ailleurs, le Premier ministre albertain vient d’annoncer qu’un référendum sur la péréquation aurait lieu en octobre prochain. Le gouvernement de Jason Kenney demandera aux Albertains s’ils souhaitent que soit retiré de la Constitution le principe de péréquation.
«Le Canada et les États-Unis sont comme deux cousins en dispute. […] Quand les États-Unis sont plus protectionnistes, le Canada a aussi tendance à l’être plus. Dans certains secteurs, on dirait que nous sommes face à deux économies fermées qui ne veulent pas transiger. Le libre-échange est toujours plus payant pour les deux pays», conclut le directeur des opérations de l’Institut économique de Montréal.