Recep Tayyip Erdogan est au chevet de la Palestine, réitérant son soutien inconditionnel à «sa cause». Le Président turc s’est entretenu le 10 mai avec son homologue palestinien, Mahmoud Abbas, ainsi qu’avec Ismaël Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, au sujet des attaques israéliennes contre la mosquée Al-Aqsa.
Dans un communiqué officiel, la diplomatie turque qualifie l’action de Tsahal de «terreur» et condamne fermement les autorités israéliennes. Ne mâchant pas ses mots, le directeur de la communication de la présidence turque, Fahrettin Altun, a quant à lui ouvertement appelé à attaquer l’État hébreu: «nous lançons un appel au monde musulman: il est temps de dire stop aux attaques lâches et tyranniques d’Israël […] Que l’enfer brûle pour les tyrans.»
À Jérusalem, la police israélienne a fait usage de la force dans la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Laissant le Président turc dans une posture délicate:
«En tant que puissance musulmane sunnite, la Turquie se doit de réagir face à ces événements», constate Faruk Bilici, professeur émérite en histoire ottomane et de la Turquie contemporaine à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations orientales, «Langues’O») Or, «Ankara n’a aucun levier d’influence pour faire pression sur les autorités israéliennes. Donc, Erdogan apporte un soutien politique, moral et parfois humanitaire», souligne-t-il au micro de Sputnik.
L’agence turque de coopération et de coordination (TIKA) a déjà distribué des colis alimentaires à 5.320 familles dans le besoin à Gaza en avril dernier. Ouvert depuis 2005 en Palestine, cette organisation «para-diplomatique» turque œuvre à aider les populations palestiniennes dans le domaine de la santé ou de l’éducation. «Elle construit des hôpitaux et des écoles», résume le professeur émérite. Mais ce soutien affiché à la cause palestinienne cacherait le réel objectif d’Erdogan.
Erdogan joue la carte «Palestine» pour soigner son image
«Erdogan utilise consciencieusement la cause palestinienne pour son propre électorat, qui est majoritairement en faveur de la Palestine, mais pour les populations arabes également. Le Président turc adore s’adresser à ces populations-là. Il gagne en sympathie et en popularité dans la région», estime le professeur de l’Inalco.
En effet, Erdogan serait le leader le plus populaire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Selon une étude réalisée en Algérie, en Jordanie, au Liban, en Libye, au Maroc et en Tunisie pour le média arabe Al Monitor le 20 avril dernier, le Président turc arriverait en tête des personnalités politiques les plus appréciées de la région. Néanmoins, le dirigeant turc serait plus ambigu: sa position serait «à double face, ces slogans de façade pour le monde musulman cachent difficilement la réalité géopolitique», pense notre interlocuteur.
Turquie-Israël, «je t’aime, moi non plus»
«La Turquie se doit d’avoir de bonnes relations avec Israël», souligne Faruk Bilici. La Turquie est le premier pays musulman du Moyen-Orient à avoir reconnu officiellement Israël en 1948. Depuis, les deux pays coopéraient dans de nombreux domaines économiques, mais Ankara restait discrète sur ses relations avec l’État hébreu pour ne pas froisser les voisins arabes. Le partenariat israélo-turc s’est mis en place autour de quatre axes: sécuritaire, militaire, économique et énergétique. L’exemple le plus marquant de cette coopération est l’arrestation au Kenya en 1999 d’Abdullah Öcalan, leader du groupe terroriste PKK. Le Mossad a aidé Ankara à capturer le chef kurde. Avec l’arrivée au pouvoir en 2003 de l’AKP, le parti islamoconservateur, les relations se sont refroidies entre la Turquie et Israël.
«Les relations entre les deux pays se sont détériorées à partir de 2009, lorsqu’Erdogan a interpellé Shimon Peres sur sa politique annexionniste au forum économique mondial de Davos. Puis il y a eu l’événement du Mavi-Marmara, qui a consommé officiellement la rupture entre Tel-Aviv et Ankara», rappelle Faruk Bilici.
Brisant le blocus de Gaza, la flottille humanitaire turque avait été attaquée en mai 2010 par un commando israélien, tuant neuf activistes.
Un scénario qui ne serait pas voué à se répéter, à en croire Faruk Bilici: compte tenu de l’isolement régional de la Turquie, «Ankara doit tempérer et modérer son discours vis-à-vis d’Israël.» En décembre 2020, le Président turc avait même évoqué son souhait de renouer des liaisons avec l’État hébreu.
«Aujourd’hui, la politique tous azimuts d’Erdogan l’a isolé de ses voisins arabes. La Grèce et Chypre se liguent contre la Turquie et Ankara est en froid avec Israël, alors que les deux pays partagent des intérêts gaziers et pétroliers en Méditerranée orientale. Et aujourd’hui, le climat est tendu avec la nouvelle Administration américaine», conclut-il.
Bref, à trop vouloir jouer sur tous les tableaux, Erdogan serait plus que jamais tiraillé face à aux événements.