«Il n’est pas imaginable d’annoncer aujourd’hui, dans le contexte de crise sanitaire, le rapatriement des djihadistes et leurs familles. S’il le fait, Macron peut faire une croix sur 2022», prédit Myriam Benraad.
Ainsi Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, s’est-il contenté de réaffirmer au micro de France Info ce 26 mars la position de la France sur ce dossier: «Il faut que les acteurs de ces crimes soient jugés sur place dans un processus qui pourra prendre naissance que lorsque la situation militaire sera clarifiée, ce qui n’est pas le cas.»
Revenants du djihad: le poids de l’opinion publique
Il y a toutefois ajouté une subtile précision: la France tente de faire sortir des camps ceux «qui sont déclarés orphelins et ceux qui sont déclarés pouvant partir en France avec l’autorisation de leur mère.» Ils doivent toutefois être âgés de 10 ans au plus, précise le ministre.
«C’est une première étape», estime Pascal Le Pautremat, géopolitologue et docteur en histoire contemporaine, au micro de Sputnik. Selon lui, la situation dans laquelle se trouve le gouvernement est extrêmement complexe: le souvenir de la vague d’attentats qui a secoué la décennie précédente est encore bien présent dans l’inconscient collectif français, affirme-t-il.
Femmes de djihadistes et adolescents seront donc condamnés à affronter dans le silence médiatique les tribunaux kurdes, irakiens ou syriens, lorsque la guerre sera finie. Une aubaine pour Paris, précise la chercheuse de IREMAM, car la France se débarrasse ainsi d’un caillou particulièrement gênant dans sa chaussure.
«On n’a pas réglé le problème de la radicalisation carcérale»
En effet, se trouvent aujourd’hui dans le Nord-est syrien des centaines de Français anciennement affiliés de près ou de loin à l’État islamique*. Cela va des hommes combattants aujourd’hui incarcérés à la prison de Hassaké aux femmes et aux enfants de djihadistes réfugiés dans les camps d’al-Hol et de Roj.
On pourrait penser que le système judiciaire et carcéral français peut digérer quelques centaines d’individus, mais la réalité est toute autre.
«On n’a pas réglé le problème de la radicalisation carcérale. On a quelques dispositifs, mais ceux-ci restent expérimentaux et limités. On n’a toujours pas de visibilité à terme sur les détenus radicalisés qui ont été réinsérés», rappelle Myriam Benraad.
Des essais concluants de déradicalisation en milieu carcéral ont pourtant été publiés par l’Institut français de relations internationales (IFRI) en février. Cette enquête de terrain au sein du Programme d’accompagnement individualisé et de réaffiliation sociale (Pairs), consacrée à la réinsertion de djihadistes sortant de prison ou placés sous contrôle judiciaire, avait permis de constater que sur les 64 personnes condamnées pour des faits de terrorisme et suivies par le programme depuis 2018, aucune n’a récidivé.
Toutefois, «la prison reste malgré tout une zone djihadogène, car on concentre des gens tenant des discours extrêmement critiques sur l’État, qui est pour eux islamophobe, raciste et discriminatoire. Il y a un risque d’effet “surgénérateur”», affirmait le 4 février Elyamine Settoul, spécialiste des questions de radicalisation au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dans les colonnes de Sputnik.
Camp de réfugiés, «comme dans une ville de Daech»
Le système français n’est donc clairement pas prêt à recevoir les centaines d’adultes affiliés à Daech* toujours sur zone et considérés comme «plus durs» par le spécialiste du CNAM. En effet, les djihadistes et leurs familles encore au Levant sont considérés comme tout aussi radicaux, sinon plus, que ceux qui ont pris le chemin du retour ou ceux qui n’ont pas réussi à partir. Le grand reporter Kamal Redouani, de retour d’une visite des camps de djihadistes en Syrie confiait à Sputnik, le 13 février dernier, avoir eu «l’impression d’être dans une ville de l’État islamique.»
«Certes, le camp est entouré de barbelés. Certes, il est gardé par des hommes armés. Mais ces femmes de djihadistes se sont réorganisées dans des structures assez proches de celles qu’avait Daech*. Il y a même des majlis [assemblées islamiques dans lesquelles les leaders prennent la parole, ndlr], comme le faisaient leurs hommes auparavant», décrit-il.
«Qu’ils soient en France ou au Moyen-Orient, ces gens posent un risque sécuritaire», ajoute Myriam Benraad. Faute de meilleure solution que de les laisser là-bas en l’état actuel des choses, Paris joue la montre.
*Organisation terroriste interdite en Russie