Déradicalisation des djihadistes: «La prison reste une zone djihadogène»

© AFP 2024 JOEL SAGETLa prison de Fresnes, en Île-de-France
La prison de Fresnes, en Île-de-France - Sputnik Afrique, 1920, 04.02.2021
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Une étude de l’IFRI tendrait à montrer la réussite du programme de «déradicalisation» des djihadistes sortant de prison. Mais le combat est encore loin d’être gagné, tempère le sociologue Elyamine Settoul, qui ne désespère pourtant pas. Décryptage.

«Djihadistes un jour, djihadistes toujours», vraiment? La formule a souvent été entendue pour moquer les programmes de déradicalisation mis en place par l’État afin de réinsérer les terroristes islamistes ou les «revenants» du djihad au Levant.

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Pourtant, selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI) menée par le chercheur Marc Hecker, la déradicalisation connaîtrait des résultats plus concluants qu’espéré. L’enquête de terrain au sein du Programme d’accompagnement individualisé et de réaffiliation sociale (Pairs), dédié à la réinsertion de djihadistes sortant de prison ou placés sous contrôle judiciaire, a ainsi permis de constater que sur les 64 personnes condamnées pour des faits de terrorisme suivies par le programme depuis 2018, aucune n’a récidivé.

«Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur ce processus, qui reste un “work in progress”», tempère toutefois Elyamine Settoul, spécialiste des questions de radicalisation au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Autre motif de prudence: le programme d’accompagnement ne concerne que les profils dits «bas de spectre», c’est-à-dire ceux que la justice n’a pas jugé nécessaire de placer en détention ou auxquels un aménagement de peine a été accordé, bref, les personnes estimées les moins dangereuses.

«Pas de recette miracle»

Le panel étant relativement faible, les sociologues parleraient plutôt de «piste exploratoire» plutôt encourageante, mais insuffisante pour conclure sur l’efficacité définitive de la déradicalisation institutionnelle. «Il n’y a pas de recette miracle pour déradicaliser des individus et un taux de récidive –fort heureusement faible– est sans doute inéluctable», concède lui-même Marc Hecker dans Le Figaro de ce mardi 2 février.

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Les spécialistes de la question s’accordent à dire que l’enjeu principal reste la réinsertion post-carcérale des «radicalisés». «Ces jeunes-là doivent absolument avoir une perspective socioprofessionnelle une fois qu’ils sortent de prison. Le risque est qu’ils glissent de nouveau dans le djihadisme ou dans la délinquance», souligne ainsi Elyamine Settoul au micro de Sputnik. Le sociologue se veut néanmoins confiant sur les capacités de réinsertion de ces individus, lesquels ne sont pas tous «radicalisés au même degré», selon lui.

«Les plus “durs” sont souvent restés dans la zone irako-syrienne pour combattre. Ceux qui reviennent sont souvent des déçus du djihad ou de l’État islamique*, qui sont malgré tout considérés comme “radicalisés” en raison de leur départ en Syrie ou en Irak», explique le chercheur au CNAM.

Mais peut-on vraiment «déradicaliser» un individu? «Le terme officiel n’est pas “déradicalisation”, mais “désengagement”», indique Elyamine Settoul. Et notre interlocuteur de rappeler que par le passé «de nombreux exemples de groupes violents sont devenus non-violents, à l’image de certains groupuscules néonazis en Allemagne, ou encore avec la réinsertion de 5.000 islamistes algériens à la fin des années 90.»

En quoi consiste la déradicalisation?

Reste que les méthodes de «déradicalisation» ne sont pas toujours bien connues du grand public, pour ne pas dire totalement obscures. Les nombreux échecs des programmes de réinsertion et de déradicalisation, lancés en 2016 avec le programme Recherche et intervention sur les violences extrémistes (RIVE) suite aux attentats de 2015, n’ont pas franchement convaincu l’opinion publique de l’efficacité du processus.

«Il y a plusieurs piliers dans le désengagement: d’abord le volet idéologique, sur la déconstruction de certains concepts et références religieux. C’est un travail effectué par des médiateurs religieux et des aumôniers musulmans, qui confrontent les sourates et les versets», relate Elyamine Settoul.

Mais ce travail théologique n’est pas toujours concluant, explique le chercheur. «Cela nécessite une très bonne connaissance de la psychologie de ces jeunes, dont la plupart sont issus de l’immigration ou de zones urbaines souvent défavorisées. Beaucoup d’aumôniers sont des “primo-arrivants”, venus directement du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne, qui connaissent bien la religion, mais moins les particularités de cette jeunesse.» D’autant plus qu’en milieu carcéral, les médiateurs sont «très souvent soupçonnés d’être des agents du renseignement», note notre interlocuteur.

Le spectre de la taqîya

Si les résultats de l’étude de l’IFRI sont plutôt encourageants, une question subsiste cependant: comment s’assurer que les «repentis» du djihad ne pratiquent pas la fameuse taqîya, l’art de la dissimulation de la foi prônée par les islamistes afin d’échapper aux services de renseignement?

«Il n’y a pas de science à ce niveau-là», réplique Elyamine Settoul. «Il est toutefois plus difficile de dissimuler des intentions terroristes ou djihadistes quand vous restez cinq ou six ans derrière les barreaux. La prison reste malgré tout une zone djihadogène, car on concentre des gens tenant des discours extrêmement critiques sur l’État, qui est pour eux islamophobe, raciste et discriminatoire. Il y a un risque d’effet “surgénérateur”.»

La prison serait donc un environnement rendant difficile toute tentative de déradicalisation, si l’on en croit le sociologue. D’autant plus que «parmi les grands penseurs du djihad, beaucoup sont passés par la case prison», rappelle-t-il. «Certains jeunes peuvent voir dans leur expérience carcérale une forme d’épreuve divine: au lieu de s’éloigner de cette idéologie, ils risquent de s’en rapprocher encore plus.»

Raison pour laquelle de nombreux spécialistes du djihad restent perplexes, à l’image de Hugo Micheron, chercheur à l’université de Princeton, qui évoque dans son ouvrage Le jihadisme français (Éd. Gallimard) «les chimères des méthodes de “déradicalisation” ciblées».

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«Il y a eu de nombreux couacs et des échecs», reconnaît Elyamine Settoul. «Dounia Bouzar avait pris en charge certains jeunes qui avaient par la suite voulu repartir en Syrie», poursuit le chercheur. L’anthropologue Dounia Bouzar, qui a été la «Mme Déradicalisation» du gouvernement de 2014 à l’été 2016, a touché selon Le Monde 833.000 euros de subventions publiques en tant que directrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI), association mandatée par le ministère de l’Intérieur comme EMI (équipe mobile d’intervention) en désembrigadement sur l’ensemble du territoire français dès 2014.

Devant des soupçons de conflits d’intérêt entre le Centre de prévention et le cabinet de conseil Bouzar Expertises, une inspection interministérielle a audité en décembre 2015 le dispositif national de lutte contre la radicalisation. Le cabinet de conseil de Dounia Bouzar était suspecté de vendre des prestations de formation à des collectivités susceptibles de travailler avec l’association. Devant la polémique, le gouvernement avait décidé de ne pas renouveler la mission de déradicalisation confiée à la CPDSI.

*Organisation terroriste interdite en Russie. 

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