471 étrangers fichés S pour radicalisation reconduits à la frontière depuis 2017, c’est le nombre d’expulsions inédit sous la présidence d’Emmanuel Macron dont s’est félicité Gérald Darmanin auprès du Parisien, le 15 novembre dernier. Pourtant, le ministre de l’Intérieur a bien dû concéder que certains obstacles freinaient les renvois massifs de ressortissants étrangers dangereux.
Chantage aux visas, une solution suffisante?
Le même jour que l’interview du ministre, Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, évoquait lors du «Grand rendez-vous» d’Europe 1, la possibilité de réduire l’attribution de visas aux pays qui refuseraient un retour de leurs citoyens radicalisés. Une solution qui nécessite un appui de l’ensemble des pays européens, loin d’être acquis.
En tout état de cause, l’expulsion d’islamistes étrangers ne constitue que la partie émergée de la lutte contre la radicalisation: que faire en effet des citoyens français en rupture de ban qui, eux, ne peuvent être expulsés? Les mesures du gouvernement ne concernent pas non plus les binationaux, car «il n’y a que des étrangers en situation irrégulière par nature, qui ne sont pas binationaux. Les binationaux restent sur le territoire national. Ils sont aussi Français», affirmait Gérald Darmanin le 13 novembre sur France Info, balayant ainsi l’option de déchoir de leur nationalité certains radicaux.
Une menace terroriste aujourd’hui endogène
Enfin, dernier aveu d’impuissance: l’impossibilité actuelle d’anticiper les passages à l’acte ni même les radicalisations, qui ne semblent désormais plus seulement être le fruit d’un lent processus idéologique, commandité par des mouvements djihadistes à l’étranger. Il s’agirait davantage du résultat de «pressions» provenant «d’officines islamistes, d’associations militantes» présentes sur le sol français, selon le ministre.
«Il faut bien voir que nous sommes confrontés à un nouveau phénomène: des personnes qui se radicalisent de façon extrêmement rapide, en quelques mois. Ce n’était pas le cas lors des attentats de 2015. […] Aujourd’hui, les services n’ont pas les moyens législatifs de lutter contre cela. Vous pouvez mettre en ligne une vidéo contre un professeur sans être poursuivi», explique Gérard Darmanin.
Comment dès lors enrayer une menace qui n’existe souvent qu’en puissance ou de manière latente? Les lois contre le séparatisme et une meilleure surveillance des contenus en ligne s’inscrivent dans cette logique préventive, mais ne suffisent sans doute pas à anticiper les passages à l’acte de personnes dont le cheminement vers l’extrémisme est déjà enclenché et silencieux.
«Nous ne sommes ni dans un état de paix ni dans un état de guerre»
Joint par Sputnik, Philippe d’Iribarne, sociologue, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, auteur de L’Islam devant la démocratie (Éd. Gallimard) et Islamophobie: intoxication idéologique (Éd. Albin Michel), confirme que nous sommes devant une impasse évidente face à la multitude de canaux de radicalisation qui échappent facilement aux services de renseignements.
«Pendant longtemps, nous avons imaginé que les gens radicalisés étaient associés à un réseau, endoctrinés, dépendants d’organisations comme Daech* ou bien étaient des gens bons pour l’hôpital psychiatrique. Or, pour se radicaliser, il n’y a besoin d’aucune organisation, mais d’adhérer à un discours ambiant, largement relayé.»
«La grande difficulté c’est que nous ne sommes ni dans un réel état de paix, dans lequel un certain nombre de règles s’appliquent aux citoyens, aux délinquants éventuellement […] ni dans un vrai état de guerre, dans lequel on ne se pose pas tant de questions et où des termes comme “intelligence avec l’ennemi” et “haute trahison” sont des réalités. Cet entre-deux est donc très difficile à gérer et surtout à nommer.»
La confusion est donc bien réelle, la difficulté à agir aussi, en témoigne la succession de lois condamnant les discours de haine, lesquels rejaillissent toujours ailleurs, comme une source intarissable. La prise de conscience d’une telle gravité et les efforts consentis par le gouvernement sont malgré tout encourageants, mais risquent encore et toujours de se heurter à de nouveaux paradigmes de radicalisation.
*Daech est une organisation terroriste interdite en Russie