Faut-il rapatrier les djihadistes? En Syrie, les camps sont «de véritables villes de l’État islamique»

© AFP 2024 DELIL SOULEIMANUn membre de la sécurité intérieure kurde monte la garde alors que des femmes conduisent des enfants avant leur départ, lors de la libération d'un autre groupe de familles syriennes du camp kurde d'al-Hol, qui détient des parents présumés de combattants du groupe de l'État islamique (IS), dans le gouvernorat de Hasakeh, au nord-est de la Syrie, le 28 janvier 2021. Delil SOULEIMAN / AFP
Un membre de la sécurité intérieure kurde monte la garde alors que des femmes conduisent des enfants avant leur départ, lors de la libération d'un autre groupe de familles syriennes du camp kurde d'al-Hol, qui détient des parents présumés de combattants du groupe de l'État islamique (IS), dans le gouvernorat de Hasakeh, au nord-est de la Syrie, le 28 janvier 2021.
Delil SOULEIMAN / AFP
 - Sputnik Afrique, 1920, 13.02.2021
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Malgré les appels de Washington et de l’Onu, nombre de pays refusent toujours de rapatrier leurs nationaux qui croupissent dans les camps et les prisons du Nord-Est syrien. Kamal Redouani, grand reporter, revient tout juste de l’un de ces camps. Son récit est glaçant.
«J’avais l’impression d’être dans une ville de l’État islamique*», explique Kamal Redouani, de retour du camp d’Al-Hol, au micro de Sputnik.

«La menace mondiale de l’État islamique* augmentera si la communauté internationale ne rapatrie pas ses citoyens», a averti l’ambassadeur adjoint par intérim Jeffrey DeLaurentis, lors d’une visio-conférence du Conseil de sécurité consacrée à la menace terroriste.

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Washington et les Nations unies accentuent leur pression sur les pays dont sont originaires les djihadistes. Récalcitrants, ces États craignent de rapatrier des bombes à retardement.

«Ils se sont gravement radicalisés»

Des craintes justifiées, selon Kamal Redouani, journaliste, réalisateur, auteur de Inside Daech*: dix ans d’enquête au cœur du djihad (éd. Arthaud). Celui-ci s’est récemment rendu dans les camps d’Al-Hol et de Roj au nord-est de la Syrie, là où sont enfermés les familles des djihadistes.

«Ce qu’on découvre dans le camp d’Al-Hol, concernant les femmes et les enfants occidentaux, c’est qu’ils se sont gravement radicalisés. Ces gens n’ont plus rien à voir avec les civils apeurés arrêtés après la chute de l’État islamique*», décrypte le grand reporter.    

Cette réalité est frappante dans l’enfer du camp d’Al-Hol. Là s’entassent près de 60.000 femmes et enfants de djihadistes. Leurs maris, eux, attendent leur procès dans les rudes cellules des prisons kurdes.

​traduction: Carte du Washington Post montrant le flux de combattants étrangers vers la Syrie, y compris les recrues de Daech*.

Parmi les détenus d’Al-Hol se trouvent plus de 9.000 ressortissants étrangers (2.000 femmes et 7.000 enfants). Ils viennent de tous les continents, sauf l’Amérique latine. D’après les chiffres de l’Onu, ceux-ci ils sont originaires de cinquante-sept pays. Près de la moitié sont partis de pays européens, dont l’Allemagne, la Belgique, la France, la Russie, la Serbie, la Suisse, le Royaume-Uni ou la Turquie. Ceux-ci vivent dans des conditions encore plus difficiles.

«J’avais l’impression d’être dans une ville de l’État islamique. Certes, le camp est entouré de barbelés. Certes, il est gardé par des hommes armés. Mais ces femmes de djihadistes se sont réorganisées dans des structures assez proches de celles qu’avaient Daech*. Il y a même des majlis [assemblées islamiques dans lesquelles les leaders prennent la parole, ndlr], comme le faisaient leurs hommes auparavant», s’inquiète notre interlocuteur.

Le grand reporter décrit un micro-califat qui s’est recomposé dans l’intérieur du camp:    

«C’est devenu une vraie ville, organisée comme telle. À cela près qu’elle est entourée de grillages. Il y avait une dame âgée, ex-djihadiste, qui vendait des fruits. Par des moyens qui m’échappent, elle a réussi à monter son petit business.»

Sur les images, comme celles que l’on voit ci-dessous, Al-Hol a de réels airs de Raqqa, à cela près que les immeubles des étroites rues de la ville sont désormais de larges allées séparées par des tentes du haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).  

​À Al-Hol, les hommes et les femmes des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de groupes de combattants essentiellement menée par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), ne patrouillent plus à l’intérieur du camp, explique Kamal Redouani. Dedans, à l’écart des grillages protégés par les autorités kurdes, l’anarchie a repris le dessus. C’est la loi du plus fort, poursuit-il.

Écosystème du djihad

«Entre mon arrivée sur place et mon départ, il y a eu des morts quasi systématiquement. Pour différentes raisons», précise le spécialiste.

Depuis le début de l’année 2021 au moins quatorze personnes ont été tuées dans l’enceinte du camp, dont trois par décapitation. La signature du groupe terroriste. «J’avais à peine mis les pieds dans le camp d’Al-Hol, que j’ai entendu des tirs. Ceux-ci ne venaient pas des forces kurdes qui gardent le camp, mais de l’intérieur du camp lui-même», ajoute le reporter. Une réalité qui est largement ignorée: «Des armes circulent dans le camp.»

Des enfants bientôt irrécupérables

Les soldats des FDS ne parviennent pas à surveiller l’ensemble des grillages du camp. Une situation qui permet parfois des évasions.

«Les femmes peuvent fuir. Moyennant une belle somme d’argent, des passeurs les exfiltrent du camp», s’alarme notre interlocuteur.  

Le plus dramatique, dit-il, c’est la situation des enfants. Élevée dans une précarité extrême, cette génération n’a quasiment connu que la propagande de Daech*.   

«Sur place, j’ai été traité de mécréant par un groupe d’une vingtaine de petits qui nous ont caillassé», relate, fataliste, Kamal Redouani.
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Le journaliste estime donc que les anciens «lionceaux du califat» doivent être rapatriés de toute urgence dans leur pays d’origine.  

«Par rapport aux enfants, je suis pour le rapatriement direct», plaide-t-il avant d’ajouter: «On a pour devoir de les protéger, de les soigner et de les éduquer. Les rapatrier, c’est une question de bon sens. Aujourd’hui, ils reçoivent une éducation prodiguée par des mères radicalisées.»

Faute de meilleure solution, le grand reporter parvient aux mêmes conclusions à propos des femmes:

«Selon moi, il incombe tout de même à chaque pays de prendre ses responsabilités. Soit de les rapatrier, soit d’organiser une forme de tribunal international sur zone, même si cette solution semble tout de même compliquée sur le plan du droit international. Le statu quo n’arrange rien.»   

«Le fait d’enfermer des femmes et des enfants pendant autant de temps, induit forcément une haine vers ceux qui continuent de les priver de liberté. Si l’on ajoute à cela la variable islamique, on tombe dans un radicalisme encore plus exacerbé qu’il ne l’était auparavant. C’est ce que je pense, ce que j’ai observé», ajoute-t-il.   

Selon lui, faire l’autruche face à ce problème ne le fera pas disparaître. Rapatrier au compte-gouttes des enfants de djihadistes çà et là ne règle pas la question de fond. Plus les femmes et les enfants restent longtemps dans l’enfer d’Al-Hol, plus ils se radicalisent dans la pensée et dans la violence, plus il devient difficile de les rapatrier. Le temps presse.     

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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