Affaire Bolloré vue du Togo: le gouvernement botte en touche, l'opposition se lâche

L'affaire de corruption dans laquelle est impliqué le milliardaire français Vincent Bolloré au Togo embarrasse Lomé dont le gouvernement se refuse à tout commentaire. De son côté, l’opposition et la société civile attendent que le milliardaire français soit jugé coupable et son groupe renvoyé du pays.
Sputnik

Vincent Bolloré, le milliardaire et puissant homme d’affaires français, a reconnu vendredi 26 février 2021 devant la justice française que son groupe avait décroché la gestion du port de Lomé en contrepartie d'activités de conseil politique de Havas Communication, une filiale du groupe. L'enquête dont il faisait l'objet, depuis plusieurs années, mentionnait également une obtention irrégulière des droits de gestion du port de Conakry en Guinée.

Les deux ports en question sont en effet gérés depuis dix ans par Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV Logistic International. Au Togo, la gestion lui a été attribuée peu avant la réélection en mars 2010 du Président Faure Gnassingbé, pour un deuxième mandat, alors qu’en Guinée, l’attribution de la gestion lui a été faite en mars 2011, quelques mois après l’accession à la magistrature suprême du Président Alpha Condé.

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Au Togo, l’agence Havas, filiale à 60% du groupe Bolloré, a assuré en 2010 le conseil et la communication autour de la campagne électorale de Faure Gnassingbé. Et à ce titre, comme le détaille Jeune Afrique, Vincent Bolloré et ses co-accusés (Gilles Alix, directeur général du groupe et Philippe Dorent, responsable du pôle international de Havas Paris) sont soupçonnés d’avoir sous-facturé les services de l’agence en échange d'une concession, pendant 35 ans, du terminal à conteneurs Togo-Terminal, géré jusqu’alors par Progosa, un groupe franco-espagnol fondé et présidé par Jacques Dupuydauby, un ancien associé de Bolloré.

Du côté de la Guinée, jusqu’à l’arrivée du Président Alpha Condé au pouvoir, le port de Conakry avait été géré par le consortium Getma International, une filiale de NCT Necotrans, qui en 2008 a devancé, au cours d'un appel d'offres, Bolloré Africa Logistics. Mais quelques semaines après avoir reçu Vincent Bolloré le 6 mars 2011, avec qui il a effectué une visite médiatisée au Port autonome de Conakry, Alpha Condé a pris un décret, comme le précise L’Express, résiliant le contrat de Getma, sous prétexte que la société n’avait avancé que le dixième des 30 millions d'euros d'investissements promis. Il a ordonné la réquisition des bureaux de Geta et 48 heures plus tard, la nouvelle gérance du port de Conakry a été confiée au groupe Bolloré.

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Dans les deux cas, les responsables du groupe Bolloré ont toujours plaidé non-coupable jusqu’au revirement de situation ce vendredi 26 février 2021, quand Vincent Bolloré et ses co-accusés ont comparu sur une reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avec un accord préalable de paiement d’une amende de 375.000 euros. Sauf que cette convention judiciaire n'a pas été validée par la juge qui a estimé qu'il était «nécessaire» que les accusés soient jugés en correctionnel puisque les faits qui leur sont reprochés ont «gravement porté atteinte à l'ordre public économique» et «à la souveraineté du Togo».

Du côté de Lomé: «no comment»

L'affaire interpelle directement le Président Faure Gnassingbé du Togo et son gouvernement, qui ont décidé, pour l'instant, de n’y apporter aucun commentaire.

Contacté par Sputnik, le ministre de la Communication et des Médias et porte-parole du gouvernement, Akodah Ayewouadan, n’y a rien trouvé à dire, soutenant que «la réaction officielle du gouvernement togolais est de ne pas commenter une procédure judiciaire qui est en cours dans un pays étranger».

«Cette question, même si elle est dite liée à la souveraineté nationale du Togo, fait l’objet d’une discussion judiciaire dans un autre pays. Et pour le moment, le gouvernement togolais n’est pas directement interpellé. Donc nous ne disons rien pour l’instant par respect des institutions des autres pays puisque nous demandons de notre côté la réciprocité», a déclaré Akodah Ayewouadan.

L’opposition togolaise s’en mêle

Dans l’opposition togolaise par contre, le silence n’est pas de mise. Certains pensent que les présumés «corrompus», côté togolais, doivent aussi commencer par être inquiétés dans cette affaire.

«Quand il y a des corrupteurs, c’est qu’il y a des corrompus. Et parfois même les corrompus sont plus dangereux que les corrupteurs», a réagi Nicolas Lawson, président du parti du Renouveau et de la Rédemption (PRR), parti d’opposition togolaise qui, depuis l’attribution du port de Lomé à Bolloré, n’a cessé de dénoncer selon ses propres mots, «une corruption et un pillage des ressources internes du pays».

«Ce sont des centaines de milliards de FCFA (1 milliard CFA =1.527.000 euros) qui partent régulièrement par cette corruption, et donc des milliards qui manquent à l’économie togolaise. Si j’étais à la place de Faure Gnassingbé, je commencerais personnellement par traduire en justice mes concitoyens togolais associés à cette corruption d’État», s'insurge Nicolas Lawson, dans une déclaration à Sputnik.

L’opposant togolais souhaite même que la justice togolaise se saisisse rapidement de cette affaire pour déclencher une procédure au plan national.

«Cette situation est une atteinte à l’économie togolaise et à la souveraineté de notre État. En conséquence, le parti politique "Les Démocrates" exige expressément le départ de Vincent Bolloré du Togo et la démission immédiate de Faure Gnassingbé», ont réagi en outre Les Démocrates, un autre parti de l’opposition togolaise qui a rendu public un court communiqué.

D’autres partis contactés par Sputnik ont affirmé qu’ils sont en concertation pour savoir quelle position adopter.

Les activistes et la société civile ne sont pas en reste

L'activiste de la société civile Folly Satchivi donne sa position sur sa page Facebook:

Le Front citoyen Togo debout, un regroupement de plusieurs organisations de la société civile togolaise, espère que le procès en correctionnel en France aboutira très vite à la condamnation du milliardaire et de ses co-accusés. En tout cas, le Pr. David Dosseh, coordonnateur de ce front, croit en l’indépendance de la justice française qui vient d’ailleurs de condamner aussi l’ancien Président français Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont un ferme, dans une affaire de corruption et de trafic d’influence.

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Ce qui n’est pas le cas, quand il parle de la justice de son pays.

«Nous aurions aimé faire le parallèle avec le Togo, mais la justice togolaise, et nous ne cessons de le dire, demeure une justice instrumentalisée au service l’exécutif. Elle protège les plus forts contre les plus faibles, les riches contre les pauvres. C’est vraiment dommage!», a-t-il affirmé au micro de Sputnik.

Pour rappel, l'ouverture d'une information judiciaire contre le groupe Bolloré devant le tribunal de Paris pour «corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance» au Togo et en Guinée entre 2009 et 2011 remonte au 11 novembre 2011. En avril 2018, Vincent Bolloré a été mis en examen sans contrôle judiciaire, et les deux co-accusés déférés devant le juge d'instruction. Mais en juin 2019, ils ont réussi à obtenir l’annulation par la cour d’appel de Paris de leur mise en examen pour une partie des infractions concernant la Guinée en raison de la prescription des faits.

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