Dissolution de Génération identitaire: «Greenpeace de droite» ou «menace séparatiste»?

La question de la dissolution de Génération identitaire revient sur la table après l’action menée par les militants radicaux dans les Pyrénées. Aucun acte illégal n’a été commis, se défend la porte-parole du mouvement, quand le syndicaliste Thomas Portes exhorte à une dissolution pure et simple. Débat.
Sputnik

«Si les éléments sont réunis, je n’hésiterai pas à proposer la dissolution» de Génération identitaire, a déclaré Gérald Darmanin ce mardi 26 janvier, qui s’est dit «scandalisé par le travail de sape de la République» de ces militants. 

L’opération menée par une trentaine de membres de Génération identitaire dans les Pyrénées, le 19 janvier dernier, place donc à nouveau le mouvement dans le viseur de la place Beauvau. Avec des voitures sérigraphiées «Defend Europe», plusieurs activistes s’étaient installées au col du Portillon, à la frontière espagnole, afin de surveiller la frontière à l’aide d’un drone.

«Scandalisé» par Génération identitaire, Darmanin met à l'étude sa dissolution
La justice a suivi l’exécutif. Une enquête préliminaire pour «provocation publique à la haine raciale» a été ouverte mardi 26 janvier en raison «des propos tenus sur une banderole très clairement anti-immigration», a déclaré le procureur de la République de Saint-Gaudens (Haute-Garonne), Christophe Amunzateguy. Une plainte de SOS Racisme a également été recueillie par les autorités.

Le syndicaliste Thomas Portes, président de l’Observatoire national de l'extrême droite et auteur d’une tribune appelant à la «dissolution immédiate» du groupe, signée par une dizaine d’élus de gauche et d’extrême gauche (PCF, LFI, PS, EELV), n’en démord pas:

«C’est un groupuscule d’extrême droite qui mène des actions contraires aux valeurs de la République: il y a derrière tout cela une idéologie raciste et nauséabonde qui veut dresser les individus les uns contre les autres», affirme Thomas Portes au micro de Sputnik.

«Le gouvernement promeut actuellement une loi sur le séparatisme: il faut que cela soit suivi d’actes et pas seulement de paroles. Génération identitaire est une menace séparatiste pour le pays», poursuit celui qui est aussi le chef de cabinet du maire (PCF) de Champigny (Val-de-Marne). Et en procès contre Génération identitaire pour avoir qualifié le groupe extrémiste de «néo-nazi» en avril 2018.

Enquête ouverte pour «provocation publique à la haine raciale»

L’action menée par Génération identitaire rappelle en tous points l’opération réalisée dans les Hautes-Alpes pour empêcher les migrants de traverser la frontière franco-italienne, le 21 avril 2018. Jusqu’ici, les militants ont triomphé de toutes les offensives juridiques à leur encontre.

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Condamnés en première instance en août 2019 à six mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Gap pour avoir «exercé une activité dans des conditions créant la confusion avec une fonction publique», trois des cadres de GI ont finalement été relaxés le 15 décembre dernier par la cour d’appel de Grenoble.

De la même manière, cinq militants de GI avaient été relaxés en appel en juin dernier après avoir été condamnés en décembre 2017 à un an de prison et 10.000 euros d’amende pour «incitation à la haine raciale et dégradations lourdes». Soixante-treize militants du mouvement avaient occupé pendant plusieurs heures le toit de la mosquée de Poitiers, fin octobre 2012.

Contactée par Sputnik, Thaïs d’Escufon, porte-parole de Génération identitaire, se défend de tout acte illégal ou délictueux dans les Pyrénées et affirme que les motifs retenus par le procureur de la République ne tiennent pas.

«Depuis quand l’opposition à l’immigration est-elle illégale? C’est une opinion comme une autre. Nous avions déroulé la même banderole dans les Alpes, ce qui n’avait soulevé aucune problématique dans le procès», précise Thaïs d’Escufon au micro de Sputnik.

Si l’action du gouvernement (qui devrait être portée devant le Conseil d’État) pour une éventuelle dissolution et l’enquête ouverte par la justice (qui pourrait déboucher sur un nouveau procès) sont décorrélées, la jeune identitaire estime qu’il n’y a «aucune raison valable juridiquement» de dissoudre Génération identitaire. «Nous sommes toujours restés dans le cadre de la loi et nos actions sont pacifiques», plaide-t-elle.

Une dissolution difficile à mettre en oeuvre

Un point sur lequel Thomas Portes se montre sceptique. «Il y a toujours une proximité avec les actions violentes: l’ONU dit que la violence des groupes d’extrême droite est aujourd’hui un phénomène à surveiller de très près», souligne le délégué syndical CGT Cheminots, auteur de l’essai Au cœur de la haine (éd. Arcane 17) sur la montée de l’extrême droite en France.

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Une dissolution pure et simple serait toutefois difficile à mettre en œuvre pour le gouvernement. Pour que la mesure devienne effective, le gouvernement doit démontrer que Génération identitaire tombe sous le coup de l’article L212-1 du code de la Sécurité intérieure, qui sanctionne la provocation «à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée».

«Génération identitaire n’est pas une milice armée et le fait de renverser la forme républicaine de l’actuel gouvernement n’est pas à son agenda», tempère toutefois dans 20 minutes Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite au sein de l’Observatoire des radicalités politiques. «Ce qui pourrait être retenu, c’est éventuellement la provocation à la discrimination. Mais, là aussi, c’est ténu, puisque le mouvement cible dans ses actions tous les migrants et non un groupe précis», précise-t-il.

«Greenpeace de droite»?

Dans le cas des dissolutions prononcées à l’encontre des associations islamistes telles que BarakaCity ou le Collectif contre l’islamophobie (CCIF), Thomas Portes rappelle toutefois qu’«aucune décision judiciaire» n’avait été prononcée. Il avait en effet suffi à Gérald Darmanin de présenter un décret en Conseil des ministres pour valider la dissolution des associations suspectes de complicité avec le terrorisme islamiste.

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La comparaison est battue en brèche par Thaïs d’Escufon. Le jeune femme préfère se réclamer de l’«agit-prop», cette technique d’inspiration soviétique de mobilisation de l’opinion publique par le recours à des «coups médiatiques». Et la jeune militante de riposter face au gouvernement: «C’est la politique du “en même temps” d’Emmanuel Macron. Ça consiste à donner des gages à tout le monde pour se laver de toute accusation d'islamophobie, en s’attaquant à toutes les associations supposément “séparatistes”.»

«C’est totalement délirant d’être comparé à des islamistes avec des liens terroristes avérés comme BarakaCity ou le CCIF: nous sommes un lobby anti-immigration qui ne fait ni plus ni moins que du “Greenpeace de droite”», justifie la porte-parole de Génération identitaire.

Une comparaison qui ne tient pas la route pour Thomas Portes. «On ne peut pas mettre sur le même pied d’égalité Greenpeace, qui se mobilise sur des questions environnementales dans l’intérêt général, et Génération identitaire qui cherche à exclure une partie de la population», s’étrangle-t-il.

«Nous sommes coutumiers du fait»

Ce n’est pas la première fois qu’une dissolution du mouvement est dans les tuyaux. Après l’occupation du chantier d’une mosquée à Poitiers par soixante-treize membres de GI en 2012, le gouvernement étudiait déjà la possibilité d’une dissolution. L’attaque du 29 octobre 2020 à Avignon menée par Fabien Badaroux, durant laquelle l’assaillant, ancien militant communiste, portait un blouson de Génération identitaire, avait également ravivé la menace de dissolution.

«Dès la création du mouvement en 2012, la dissolution de Génération identitaire a été réclamée, notamment par l’extrême gauche. Nous sommes donc coutumiers du fait», reconnaît Thaïs d’Escufon. Si elle dit «ne pas craindre» une dissolution, la porte-parole du groupe d’extrême droite estime aussi que «l’engagement identitaire» de son mouvement se poursuivra quoi qu’il advienne.

«Nous ne nous soumettrons jamais aux intimidations et aux menaces de dissolution. La pensée identitaire existait déjà avant GI et continuera après», lance-t-elle, bravache.
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