Outre la pandémie de Covid-19, qui est sans nul doute le phénomène le plus notable de l’année 2020, plusieurs faits saillants ont marqué l’Afrique centrale, notamment la région des Grands Lacs, tant sur les plans sociopolitique qu’économique et sécuritaire. De la République démocratique du Congo (RDC) au Burundi en passant par le Rwanda et l’Ouganda, l’actualité a été en riche en événements.
La coalition de la discorde en RDC
En RD Congo, le pays a été particulièrement marqué par les querelles politiciennes entre les deux plateformes politiques qui forment la coalition au pouvoir, le FCC (Front commun pour le Congo) de l’ex-Président Joseph Kabila et CACH (Cap pour le changement) de l’actuel chef de l’État Félix Tshisekedi. Si les premiers jours du régime Tshisekedi ont été caractérisés par des embrassades et autres marques d’affection entre membres de la coalition, faisant dire à certains d’entre eux que le mariage FCC-CACH était promis à un bel avenir, les semaines et mois qui ont suivi ont cependant étalé au grand jour l’énorme fossé qui séparait les deux familles politiques, tant sur le plan politique que sur le plan idéologique.
Il faut dire que si Félix Thsisekedi, à ses débuts, n’avait pas la marge de manœuvre nécessaire pour pouvoir renverser le rapport de force face à un Joseph Kabila qui a gardé la haute main sur les principaux leviers du pouvoir en matière sécuritaire comme politique –sa famille politique contrôlant les deux chambres à la majorité absolue–, la situation a considérablement évolué depuis en faveur du chef de l’État congolais. Soutenu par les Américains, qui ont toujours prôné une rupture avec Joseph Kabila, Tshisekedi a réussi le pari de positionner ses hommes de confiance à des postes clés dans les services de sécurité, l’armée ainsi que la magistrature. Plus encore, il a gagné, grâce à une opération de débauchage rondement menée, certains membres du FCC à sa cause. La première victime de ce retournement de perspective est la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda, évincée de son poste à la suite d’une pétition introduite par l’opposition et votée par certains membres du FCC. Depuis, «les rats quittent le navire FCC» par partis entiers.
Pour l’heure, on peut dire que Tshisekedi fils est en meilleure posture qu’il ne l’a jamais été depuis son arrivée au pouvoir. Sûr de constituer une nouvelle majorité en sa faveur à l’Assemblée nationale, il a l’intention d’obtenir la démission du Premier ministre Ilukamba et mettre en place un gouvernement qui lui sera entièrement acquis. Pour cela, il peut compter sur le soutien d’Ensemble de l’opposant Moise Katumbi, du MLC de Jean-Pierre Bemba, mais aussi de certains membres du FCC.
Mais la partie risque de ne pas être aussi facile qu’on pourrait le croire. Les partis qui ont rejoint l’Union sacrée de Félix Tshisekedi ont des agendas à respecter. Le rapprochement avec CACH est loin d’être idéologique. Tout est avant tout politique, c’est un mariage d’intérêt, une alliance de circonstance à l’instar de la défunte coalition FCC-CACH. Plusieurs sources contactées par l’auteur, aussi bien à CACH qu’au MLC, ne s’en sont pas cachées.
Du côté du FCC, l’heure est à la réorganisation des troupes. Joseph Kabila a préféré garder un profil bas, et cela peut se comprendre au regard de la posture agressive manifestée par Washington, qui est la véritable cheville ouvrière de l’affaiblissement du FCC. Selon des sources politiques et sécuritaires congolaises concordantes, l’ambassade des États-Unis à Kinshasa a mené une authentique opération de lobbying pour persuader certains hommes politiques et officiers des FARDC (Forces armées congolaises) de soutenir Félix Tshisekedi.
La suite des événements en RDC dépendra donc non seulement des calculs politiciens des protagonistes congolais mais aussi et surtout de la posture des États-Unis à l’égard du pays et de ses acteurs politiques...
Le Burundi à l’heure du renouveau
Au Burundi voisin, l’actualité a été marquée par deux événements majeurs: l’élection sans surprise du général Évariste Ndayishimiye et le décès inopiné du Président sortant Pierre Nkurunziza, qui s’est éteint à 55 ans des suites d’un arrêt cardiaque alors qu’il s’apprêtait à transférer le pouvoir à son successeur.
Pour de nombreux Burundais, l’arrivée au pouvoir du général Évariste Ndayishimiye a suscité à la fois l’appréhension et une petite lueur d’espoir dans le pays. Sans nécessairement voir en cela le signe d’une nouvelle ère dans la gestion de l’État, un certain nombre de citoyens ont préféré tout de même croire au miracle. Le fait de n’avoir jamais été cité dans les affaires de violations des droits de l’Homme, de crimes et de malversations a constitué un atout non négligeable pour Ndayishimiye, qui a hérité d’un État faisant l’objet de sanctions de l’Union européenne (UE), premier donateur du pays, depuis 2016.
Mais la situation semble évoluer positivement pour le «nouveau Burundi» et tout porte à croire que l’Union européenne pourrait assouplir, voire lever, les sanctions contre l’État dans les semaines et mois à venir. C’est en tout cas le souhait que le pouvoir et l’ambassadeur de l’UE au Burundi ont émis lors d’un déjeuner officiel à Bujumbura. Sans afficher une volonté de rupture avec le passé, le général Évariste Ndayishimiye inscrit son pays dans une nouvelle dynamique diplomatique avec l’Occident. Pour l’heure, les purs et durs de sa famille politique, le CNDD-FDD, semblent avoir fait profil bas, laissant le chef de l’État manœuvrer à sa guise.
Signe que 2021 s’annonce radieuse pour les relations entre Bujumbura et la partie occidentale de la communauté internationale, Évariste Ndayishimiye a reçu en audience, le 7 décembre dernier, le représentant de l’UE ainsi que les ambassadeurs des pays de l’UE à leur demande. Ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années...
La difficile réconciliation avec le voisin rwandais
Sur le plan régional, le nouveau pouvoir burundais qui, faut-il le dire, est la continuité du régime précédent à quelques nuances près, a un autre problème à régler: celui de la normalisation des relations avec le voisin rwandais.
La crise entre Kigali et Bujumbura remonte à 2015, lorsque le Rwanda a décidé d’accueillir sur son territoire un groupe d’officiers burundais qui avait contribué au coup d’État manqué contre le Président Pierre Nkurunziza le 13 mai 2015, alors que ce dernier participait à un sommet régional à Dar es-Salaam, en Tanzanie. À l’époque, Bujumbura avait non seulement reproché à Kigali d’avoir accordé l’asile aux putschistes, mais il lui avait aussi fait grief de soutenir des groupes armés qui déstabilisaient le Burundi. Des affirmations que le Rwanda avait vigoureusement démenties, accusant à son tour le Burundi d’abriter des membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ce que Bujumbura de son côté avait également contesté. Depuis, les deux pays s’imputent mutuellement des tentatives de déstabilisation.
L’arrivée du général Évariste Ndayishimiye à la tête du Burundi en juin dernier a nourri l’espoir d’un rapprochement entre les deux États. Mais le numéro un burundais avait dans un premier temps rejeté la main tendue de son homologue rwandais qui désirait tourner la page des années de brouille entre leurs pays. Signe que l’animosité entre le Rwanda et le Burundi avait de beaux jours devant elle, un responsable burundais avait même appelé la population à signaler à la police la présence de tout rwandophone sur le sol burundais, arguant que la sécurité du pays était, de tout temps, perturbée par des personnes parlant le kinyarwanda, la langue rwandaise.
En effet, même si plusieurs tentatives de rapprochement ont été observées ces derniers mois de part et d’autre, il n’en reste pas moins que la méfiance entre les deux pays est trop profonde pour penser à une normalisation de sitôt. Le Rwanda, qui est isolé dans la région et est perçu comme un fauteur de troubles, devra donner davantage de gages de bonne foi pour gagner la confiance du Burundi, mais aussi de son voisin du nord, l’Ouganda, avec lequel il est en froid, les deux pays s’accusant mutuellement de soutien aux opposants et de tentative de déstabilisation.
Yoweri Museveni à l’épreuve de Bobi Wine
Outre l’enjeu diplomatique et sécuritaire susmentionné, le Président ougandais Yowei Museveni doit affronter l’opposant Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi Ssentamu, lors de l’élection présidentielle du 14 janvier 2021. Si la victoire du Président sortant ne fait aucun doute, la partie risque cependant d’être serrée pour celui-ci. En effet, non seulement le jeune opposant continue de gagner en notoriété et en soutien, mais sa posture combative place de plus en plus le pouvoir ougandais en position défensive. Des nouvelles violences ont éclaté ce dimanche 27 décembre en marge de la campagne de l’opposant Bobi Wine, qui était en déplacement à Masaka, au sud du pays. Un membre de sa sécurité est décédé et trois journalistes ont été blessés.
Jusqu’à présent, la communauté internationale s’est gardée de se prononcer sur les agissements du gouvernement ougandais, le Président Museveni étant l’allié privilégié des Américains et de l’Occident dans les Grands Lacs. Mais l’intensification de la pression populaire pourrait l’amener à revoir sa position. Mieux, il se pourrait même que l’on assiste à un retournement de situation inattendu sur l’échiquier intérieur ougandais, à l’instar de ce qui s’est produit contre le régime d’Omar al-Bachir au Soudan, en 2019.