La Russie à l’épreuve de la crise centrafricaine

© AFP 2024 FLORENT VERGNESUn membre des FACA (forces armées centrafricaines)
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À quelques jours de la présidentielle, la Centrafrique connaît un regain de tensions consécutif à une offensive des groupes armés au nord du pays. Cette poussée des rebelles menace de replonger le pays dans la guerre civile. Elle constitue un test pour la Russie, partenaire privilégié de Bangui. Analyse pour Sputnik du chercheur Patrick Mbeko.

La situation reste précaire à quelques jours du premier tour des élections présidentielle et législative qui doivent se tenir en République centrafricaine (RCA). En cause: une offensive menée par les groupes armés sur plusieurs axes routiers dans les localités situées à l’intérieur du pays. Selon des responsables centrafricains, les rebelles de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), l’un des groupes armés les plus puissants de Centrafrique, se sont emparés de Bambari, la quatrième ville du pays, ce mardi 22 décembre. «La ville est sous le contrôle des groupes armés. Il n’y a pas eu de violence contre les habitants, mais ils ont pillé le commissariat, la gendarmerie et les maisons des particuliers», a déclaré à l’AFP Abel Matchipata, maire de Bambari. Une partie du matériel électoral aurait été pillé. Mais selon la MINUSCA (Mission des Nations unies en Centrafrique), la ville n’est pas tombée aux mains des groupes rebelles, en dépit des informations faisant état du contraire.

​Il faut dire que l’attaque de Bambari et de ses environs a donné lieu à deux heures d’échanges de tirs avec les FACA (Forces armées centrafricaines) et les Casques bleus de la MINUSCA, qui est en état d’alerte maximale. De son côté, le gouvernement centrafricain a accusé l’ancien chef de l’État, François Bozizé, dont la candidature a été invalidée par la Cour constitutionnelle, de vouloir fomenter un «coup d’État» en s’appuyant sur les groupes armés qui contrôlent les deux tiers du territoire national. Des accusations que l’intéressé a catégoriquement rejetées. 

Les évènements des dernières heures risquent non seulement de nuire à la tenue du scrutin du 27 décembre prochain et de replonger la RCA dans la guerre civile, mais ils constituent aussi et surtout un test pour la Russie, partenaire privilégiée de la Centrafrique avec laquelle elle a conclu un accord de défense en 2018. 

Une présence importante

Depuis cette date, la lune de miel entre Moscou et Bangui se poursuit à un rythme effréné. Les deux pays ont renforcé leur coopération dans plusieurs domaines, ce qui a permis à la Russie d’étendre considérablement son influence dans le pays. En octobre dernier, Moscou a ouvert un bureau du ministère russe de la Défense à Bangui, et a fait un don de dix véhicules blindés à la défense centrafricaine. À l’époque, l’ambassadeur de Russie en RCA, Vladimir Titorenko, avait affirmé que son pays était prêt à fournir davantage d’armes lourdes à la Centrafrique, y compris des hélicoptères de combat. 

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Depuis, des centaines d’instructeurs russes participent à la formation des FACA. Si le secteur de la défense est la porte par laquelle la Russie est entrée en Centrafrique et a réussi à asseoir son influence, le secteur extractif semble également attirer les Russes. Le sol et le sous-sol centrafricains regorgeant de minerais, Moscou compte aussi y accéder. Ce n’est pas un hasard si le pays de Vladimir Poutine cherche à légaliser le marché du diamant de la RCA, qui est sous sanction des Nations unies, en plaidant pour le retour du pays dans le système international de certification des diamants bruts, aussi connu sous le nom de «processus de Kimberley».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Russie est partout en Centrafrique. Y compris dans l’entourage immédiat du numéro un du pays, le Président Faustin-Archange Touadéra. Une unité spéciale de l’armée russe assure la sécurité de ce dernier. Moscou est sans conteste devenu incontournable dans le paysage local, surpassant l’ancienne puissance coloniale (la France) dont la présence et le rôle restent tout de même prépondérants... 

Un partenariat à l’épreuve de la crise

Avec la poussée des groupes rebelles qui ne cachent pas leurs velléités de s’emparer de la capitale Bangui et de court-circuiter le processus électoral, c’est le partenariat entre la Russie et la RCA qui est mis à rude épreuve. 

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Par le passé, la France n’a pas hésité à intervenir directement dans les affaires intérieures de la Centrafrique pour faire triompher ses desiderata. On peut penser à l’opération Barracuda, au cours de laquelle le Service action de la DGSE et les parachutistes du 1er RPIMa envoyés par Valéry Giscard d’Estaing ont déposé manu militari l’empereur Jean-Bedel Bokasa, qui avait commis le péché de se rapprocher de la Libye du colonel Kadhafi. Par la suite, l’Hexagone, qui a eu une présence militaire presque ininterrompue en RCA jusqu’en 1998, est intervenu à quelques reprises (à travers, par exemple, les opérations Almandin I, II et III) pour éviter des ennuis aux gouvernements en place. 

La Russie va-t-elle emboîter le pas à cette France qui n’hésitait pas intervenir dans les affaires intérieures de son ancienne colonie pour protéger ses dirigeants? Va-t-elle intervenir pour protéger le gouvernement du Président Faustin-Archange Touadéra des attaques des groupes armés? Si oui, va-t-elle utiliser la force ou se contentera-t-elle de ramener les parties à la table des discussions? 

Autant de questions qui ne trouveront de réponse définitive que dans les jours à venir. 

Pour l’heure, Moscou a adopté une position assez ambiguë, démentant même avoir envoyé des centaines de soldats ainsi que des équipements lourds en Centrafrique dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale, comme l’avait pourtant affirmé, il y a deux jours, le porte-parole du gouvernement centrafricain, Ange Maxime Kazagui. Un haut diplomate russe, Mikhaïl Bogdanov, a précisé pour sa part que la Russie avait des éléments sur place en RCA en vertu des accords qui lient Moscou et Bangui.

​Jusqu’au jeudi 24 décembre, la Fédération de Russie n’avait toujours pas confirmé l’envoi de soldats russes en Centrafrique. À moins que les 300 instructeurs militaires supplémentaires récemment envoyés auprès du gouvernement de Bangui ne comportent, dans leurs rangs, des troupes de combat? Au Kremlin comme au ministère de la Défense russe, on est avare de commentaires à ce propos. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est contenté d’exprimer ses inquiétudes sur les événements en cours en RCA, et une porte-parole de la Défense a confié à l’AFP que Moscou préférait, «pour l’heure [garder] le silence sur ce sujet».

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On peut émettre deux hypothèses au regard de la posture russe. D’une part, étant donné que l’accord de coopération militaire entre la RCA et la Russie prévoit, entre autres, une assistance militaire en cas d’agression extérieure contre l’un des deux États, Moscou hésiterait à intervenir ouvertement dans le conflit centrafricain, préférant agir de manière indirecte à travers les sociétés militaires privées Sewa Security Services et Wagner. Celles-ci encadrant les FACA et la sécurité de la présidence centrafricaine. D’autre part, Moscou laisserait la porte ouverte à la négociation –il convient à cet égard de souligner que la Russie a été la cheville ouvrière de l’accord de paix intervenu entre le gouvernement centrafricain et les groupes armés, négocié à Khartoum et signé à Bangui le 6 février 2019– avant de recourir à la force. En clair, la Russie explorerait toutes les voies qui lui permettraient de ne pas s’embourber dans la crise centrafricaine.
Quoi qu’il en soit, c’est la crédibilité de l’ours russe qui est en jeu dans cette crise. En fonction de la posture qui sera la sienne dans les jours à venir, celle-ci sortira renforcée ou affaiblie... aux yeux de nombreux Africains qui suivent la situation en RCA de très près. À leurs yeux, la Russie est un partenaire plus fiable que l’ancienne puissance coloniale ou les États-Unis. L’enjeu est d’autant plus important que le capital de sympathie dont jouit Moscou sur le continent noir n’a fait qu’augmenter au cours des dernières années...

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