Alors que les Marocains s’attendaient à l’annonce officielle d’un reconfinement total au regard de l’augmentation des cas de contamination au Covid-19, un communiqué du cabinet royal est venu, dans la soirée du 9 novembre, changer la donne. Le lancement d’une opération de vaccination massive contre le nouveau coronavirus «dans les prochaines semaines» y est annoncé, au vu de «la phase aiguë de la pandémie». Au mercredi 11 novembre à 18h (heure marocaine, GMT+1), le Maroc totalisait 270.626 cas positifs, 4.506 morts et près de 970 patients dans un état critique. L’annonce royale a pris tout le monde de court.
Ces mêmes propos avaient été tenus par le ministre de la Santé lui-même. Khalid Ait Taleb s’était expliqué sur le sujet devant les parlementaires le 26 octobre dernier. Déjà à cette date, le responsable marocain avait assuré que le pays était fin prêt pour une vaccination de masse de ses citoyens. 17 jours avant cette déclaration, il avait tenu une réunion avec les directeurs régionaux de la santé «pour la préparation de la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19». Les Marocains ne savaient pas à ce moment-là de quelle vaccination il s’agissait ni à qui elle serait destinée.
Le ministre marocain de la Santé a révélé peu de détails concernant le vaccin chinois en répondant aux questions des parlementaires le 26 octobre dernier.
Le comité scientifique a dit «oui»
Parmi le peu d’informations dévoilées par Khalid Ait Taleb sur ce vaccin, le ministre avait bien souligné qu’il se référait à l’avis du Comité national scientifique en charge du suivi du Covid-19 dans le royaume. C’est ce comité qui est aussi cité dans le communiqué du cabinet royal. Cet organe scientifique a jugé que «la campagne vaccinale est une réponse réelle» et «un moyen idoine d’immunisation contre le coronavirus et de maîtrise de sa propagation».
Le docteur Jaâfar Heikel abonde dans le même sens. Cet épidémiologiste et spécialiste marocain en maladies infectieuses et santé publique estime que cette campagne de vaccination est une «excellente nouvelle pour le pays» qui fait face à une hausse alarmante des infections au coronavirus, avec plus de 4.000 cas enregistrés quotidiennement depuis quelques semaines.
«Cette opération, qui va sans doute s’étaler sur trois mois environ, va permettre de protéger l’ensemble des citoyens si elle est menée à bien. Maintenant, on croise les doigts pour qu’elle démarre au plus vite et au profit d’un maximum de Marocains et de Marocaines en donnant les bons résultats escomptés», souligne-t-il au micro de Sputnik.
Les conclusions de l’essai clinique de la phase III du vaccin de Sinopharm sont attendues vers la mi-novembre dans le pays, selon des sources proches du dossier. Elles devront conforter l’avis du comité marocain. C’est vers cette date, d’après les mêmes sources, que pourrait démarrer au Maroc la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19. Elle devra atteindre d’ici à fin mars l’ensemble de la population âgée de plus de 18 ans, selon des indiscrétions publiées par le site d’information JeuneAfrique.
La même source insiste aussi sur l’accessibilité du vaccin, dans un cadre social et solidaire. Cette allusion laisse penser que la vaccination ne sera pas gratuite pour tout le monde. Il n’est pas exclu non plus que d’autres vaccins que celui de Sinopharm soient utilisés plus tard. Surtout que le Maroc a déjà officialisé une demande d’approvisionnement auprès du groupe pharmaceutique russe R-Pharm, détenteur de la licence du vaccin britannico-suédois d’AstraZeneca. La directrice des médicaments au sein du ministère marocain de la Santé vient de confirmer à Luxe Radio que le Maroc est intéressé notamment par le vaccin russe Spoutnik V.
Course mondiale au vaccin anti-Covid-19
En matière de vaccination contre le nouveau coronavirus, la concurrence est rude au niveau mondial. Jusqu’au 11 novembre, 202 vaccins candidats ont été recensés par l’OMS et font l’objet d’essais cliniques, dix seulement d’entre eux ont atteint la phase III pour prouver leur efficacité à grande échelle.
Interrogé par Sputnik, le président de la confédération des syndicats des pharmaciens d’officine (CSPM), Mohamed Lahbabi, en dit plus sur les options qui s’offraient au Maroc.
«C’était un choix stratégique à faire, au plus haut sommet de l’État, sur avis du comité scientifique ad hoc. Le but est que le royaume soit parmi les premiers à recevoir suffisamment de doses de vaccin. Il n’y avait que deux possibilités: contribuer financièrement pendant la phase de la recherche et l’élaboration, comme ce fut le cas pour l’Australie qui a signé un gros chèque, ou prendre part aux essais cliniques. Le Maroc a opté pour le deuxième choix après s’être assuré que les phases I et II des essais du vaccin chinois se sont déroulées sans encombre et sans aucun incident grave. Le pays a aussi décidé de diversifier ses sources d’approvisionnement», détaille-t-il.
Qu’en est-il alors des résultats des essais cliniques auxquels participe le Maroc depuis fin août 2020 ? À quel pourcentage le sérum vaccinal a-t-il permis de réduire le risque de contamination au Covid-19? Combien de temps l’efficacité des vaccins durera-t-elle et quel schéma sera adopté? Toutes ces questions fondamentales restent pour l’heure sans réponses.
Sur les réseaux sociaux, certains internautes marocains, inquiets, se posent ces mêmes interrogations et bien d’autres:
Aux dernières nouvelles, selon Mohamed Lahbabi, le Maroc aurait pris contact avec Pfizer pour diversifier encore ses sources d’approvisionnement.
Passer outre l’aval de l’OMS
Malgré la récente annonce de Pfizer et le succès apparent de Siniopharm, l’OMS n’a encore autorisé l’utilisation à grande échelle d’aucun vaccin dans le monde. Une barrière que le Maroc, par souci de proactivité, vient de décider de sauter pour freiner la propagation du coronavirus touchant durement le royaume. Il est le premier pays d’Afrique à le faire.
Dans le monde arabe, les Émirats arabes unis viennent d’approuver le vaccin de Sinopharm pour son utilisation urgente par les travailleurs de la santé et les hauts fonctionnaires. D’autres pays comme le Pérou ou l’Argentine pourraient suivre car, comme le royaume chérifien, eux aussi sont partenaires dans la campagne mondiale de tests menée par CNBG.
Commentant cette décision rapide, le docteur Heikel estime qu’à contexte exceptionnel, réponse exceptionnelle.
«Nous n’avons pas d’autre choix, tout simplement. En dehors de la protection primaire –le port du masque, le lavage régulier des mains et la distanciation physique–, la seule arme qui nous reste est le vaccin. Évidemment, la prudence doit être de mise mais à l’ère où un virus a réussi à avoir autant de conséquences économiques, sociales et sanitaires dramatiques, on doit mesurer ce que l’on appelle le risque/bénéfice. Et pour l’instant, il semble que les bénéfices soient largement au-dessus», conclut-il.