Cela faisait neuf ans que Laurent Gbagbo ne s’était pas exprimé en dehors du cadre de son procès à la CPI. Autant dire que l’interview qu’il a accordée à la chaîne de télévision TV5Monde était particulièrement attendue en Côte d’Ivoire.
Dès le début de cet entretien, qui intervient à deux jours d’une présidentielle à hauts risques, il a mis un point d’honneur à lever l’équivoque sur le long silence qu’il observait:
«J’attendais d’être de retour en Côte d’Ivoire avant de parler mais la date du 31 octobre approche. Je vois que les querelles nous amènent vers un gouffre, en tant qu’ancien Président, ancien prisonnier de la CPI, si je me tais, ce n’est pas responsable. J’ai donc décidé de m’exprimer pour donner mon point de vue sur la situation actuelle», a-t-il déclaré.
Une élection sous tension
Dix ans après la crise postélectorale de 2010-2011 qui avait, selon des chiffres officiels, occasionné plus de 3.000 morts, la Côte d’Ivoire retient de nouveau son souffle. Le 31 octobre, les citoyens sont appelés aux urnes pour un scrutin présidentiel fortement contesté par les partis d’opposition qui réclament le retrait de la candidature du Président sortant Alassane Ouattara, en lice pour un troisième mandat qu’ils jugent anticonstitutionnel.
Depuis le 20 septembre, l’opposition, avec à ses côtés des organisations de la société civile, observe un mouvement de désobéissance civile sur toute l’étendue du territoire. La décision de cette contestation est intervenue après que le Conseil constitutionnel a rejeté 40 dossiers de candidature pour ne retenir que quatre prétendants à la présidence, dont Alassane Ouattara qui est convaincu de sa réélection dès le premier tour.
Parmi les 40 dossiers écartés figure celui de Laurent Gbagbo, qui a qualifié dans son interview d’«enfantin» le rejet d’autant de candidats. Pour ce qui est de son cas, l’exclusion était justifiée par sa radiation en août 2020 de la liste électorale, consécutive à sa condamnation –dans le cadre de l’affaire du «braquage» de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale– par la justice ivoirienne à 20 ans de prison et à la privation de ses droits civiques.
Pour l’heure, le souhait de l’opposition d’un report de la présidentielle et la tenue d’un dialogue avec le pouvoir –impérativement sous la supervision d’une médiation internationale– afin de garantir une élection «crédible, transparente et inclusive» reste lettre morte.
Une escalade de la violence qui fait craindre le pire
Pour espérer obtenir gain de cause à leurs revendications, les partis d’opposition ont notamment appelé leurs militants à «manifester par tous les moyens légaux». Cependant, depuis le 16 octobre, dans plusieurs villes du pays, ces protestations ont dégénéré en de violents affrontements qui ont parfois pris une tournure intercommunautaire. À ce jour, le bilan officiel fait état d’une trentaine de morts, quand l’opposition évoque de son côté 70 décès.
L’opposition attribue cette escalade de violences à des «miliciens du régime Ouattara convoyés de manière méthodique et organisée dans des localités ciblées pour semer la mort et la désolation avec la complicité passive des forces de défense et de sécurité», d’après Affi N’Guessan, un des leaders de l’opposition.
Laurent Gbagbo a fait savoir, dans son interview, que «dans le combat qui se mène actuellement contre le troisième mandat» brigué par Alassane Ouattara, il est «résolument du côté de l’opposition».
Éviter le pire
Pour Laurent Gbagbo, pas de doute, «c'est la catastrophe qui attend la Côte d'Ivoire au lendemain du 31 octobre» si la présidentielle a bien lieu. Et le remède qu’il préconise à «cette situation inflammable», c'est de «discuter, négocier, se parler, car il est encore temps de le faire».